CARDIOLOGIE AFRICAINE AUX JOURNEES EUROPEENES DE LA SOCIETE FRANCAISE DE CARDIOLOGIE, Edition 2016
Session Société Camerounaise de Cardiologie – Société Française de Cardiologie.
MODERATEURS : XAVIER JOUVEN, FRANCE – SAMUEL KINGUE, CAMEROUN
Présidée par les Pr S Kingue (Yaoundé) et X Jouven (HEGP, Paris), la session commune SFC/Société Camerounaise de cardiologie a porté sur l’épidémiologie et la cardiologie interventionnelle en Afrique. Elle a réuni quatre présentations d’études originales mises en œuvre en Afrique subsaharienne. Ces études, menées à partir du centre d’épidémiologie cardiovasculaire de l’HEGP (X Jouven), sont conduites en Afrique, par des équipes africaines dans le cadre du partenariat. Chacune conduit à des publications de haut niveau, ambition avouée et réussie des équipes impliquées dans ces programmes.
ETUDE SEVEN
A. MENANGA
L’étude « SEVEN : évaluation de la qualité des médicaments cardiovasculaires en Afrique » a été présentée par A Menanga (Yaoundé. A Menanga vient par ailleurs d’être nommé membre correspondant étranger de la SFC, lors de l’Assemblée générale du 13/1/16). Aucune étude n’a été menée sur la qualité des médicaments cardiovasculaires en Afrique. La plupart des travaux sur la qualité des médicaments concerne les agents anti-infectieux.
Il s’agit d’une étude multicentrique dans 10 pays, qui a porté sur plusieurs classes pharmaco thérapeutiques, dans le but d’identifier le principe actif et la teneur de ce dernier pour 7 médicaments cardiovasculaires (Acénocoumarol, Hydrochlorothiazide, Furosémide, Captopril, Aténolol, Amlopdipine, Simvastatine). L’analyse des échantillons prélevés a été faite dans les laboratoires spécialisés en France. Les informations qui ont été recueillies concernaient, la description organoleptique et galénique des médicaments, les pays et les villes de prélèvement des échantillons, les sites de vente (marché, pharmacie), les laboratoires de fabrication, les pays de production, les laboratoires de commercialisation, les numéros de lot et les dates de péremption.
Sur les 3468 échantillons prélevés, 1530 ont été tirés au sort et analysés en laboratoire spécialisé. De ceux-ci, 16,3% étaient de mauvaise qualité, avec une prévalence élevée pour certaines classes (29% pour l’Amlodipine, 26% pour le Captopril), de même pour les génériques (23%) et l’origine asiatique des médicaments (35%). En analyse univariée, plusieurs facteurs étaient associés à la mauvaise qualité des médicaments : le type de médicament, sa version (générique ou non), sa zone de production. En analyse multivariée, 45,3% des médicaments vendus dans les marchés et fabriqués en Asie étaient de mauvaise qualité.
Cette étude met en lumière l’ampleur de la contrefaçon des médicaments cardiovasculaires en Afrique et démontre la nécessité de sensibiliser davantage les populations africaines sur ce phénomène.
ETUDE EIGHT
J. BOOMBHY , A. DZUDIE-TAMDJA
L’étude EIGHT ; observance médicamenteuse chez les patients atteints d’hypertension dans 12 pays Africains, a été présentée par J Boombhy et A Dzudie-Tamdja (Yaoundé).
Parmi les 17 millions de décès annuels par maladies cardio-vasculaires, plus de la moitié sont imputables aux complications de l’hypertension artérielle (HTA) et 80 % surviennent dans des pays à revenu faible à intermédiaire. En Afrique, on estime que près de 50% des adultes sont atteints d’ HTA. La prévention et la maîtrise de l’HTA est donc un élément clé de la Santé Publique en Afrique.
L’étude EIGHT a pour objectifs chez des patients -atteints d’hypertension artérielle- issus de 12 pays d’Afrique sub-saharienne :
- La description de l’observance médicamenteuse et des habitudes de consommation en sel ;
- L’analyse :
- des critères associés à une faible observance aux traitements ;
- des critères associés à une forte consommation en sel ;
- de l’association entre la sévérité de l’hypertension et ses complications avec une faible observance et une forte consommation en sel.
L’étude EIGHT a été conçue par une équipe multidisciplinaire d’épidémiologistes, cardiologue et pharmaciens. Cette équipe possède une expérience de recherche et de collaboration avec un réseau de médecins-chercheurs en Afrique dans le domaine du rhumatisme articulaire aigu23 et de la drépanocytose24 qui a facilité la planification et la mise en place de l’étude.
Cette étude observationnelle basée sur un auto-questionnaire complété par les patients et les cardiologues est financée exclusivement par des fonds publics.
Les patients sont recrutés dans les consultations de prise en charge d’HTA de centres de cardiologie des hôpitaux universitaires de douze pays d’Afrique entre Février 2014 et Juillet 2015.
Le questionnaire disponible en trois langues (français, anglais, portugais) contient deux parties, une complétée par le patient et l’autre par le médecin.
Actuellement, 2167 patients issus de 28 centres de 12 pays ont déjà été inclus. L’observance est rapportée Tableau 1.
L’étude EIGHT s’inscrit dans un projet d’évaluation de la qualité de la prise en charge thérapeutique des patients atteints de pathologies cardiovasculaires et permettra de fournir des données de qualité sur l’observance aux traitements médicamenteux chez les patients hypertendus en Afrique.
ETUDE CADRE
B RANQUE
L’étude CADRE (Cœur Artères DREpanocytose), a été présentée par B Ranque (HEGP, Paris). Bien qu’étant une maladie génétique de l’hémoglobine, la drépanocytose peut aussi être considérée comme une maladie vasculaire, du fait du développement en quelques années d’une vasculopathie touchant les capillaires et les artères de petit et moyen calibres. En effet, les principales complications chroniques de la drépanocytose sont les accidents vasculaires cérébraux, l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), la néphropathie, la rétinopathie, les ostéonécroses, les ulcères de jambes, l’insuffisance cardiaque, etc., alors même que les patients drépanocytaires ont moins de facteurs de risque de drépanocytose que la population générale.
Alors que la grande majorité des patients drépanocytaires du monde vivent en Afrique sub-saharienne, il n’existe aucune étude en population de la drépanocytose en Afrique. Nous avons fait l’hypothèse que l’histoire naturelle de la drépanocytaire en Afrique sub-saharienne était différente de celle décrite jusqu’alors dans la littérature, qui provient des cohortes américaines et européennes, et aussi possiblement différente en fonction des régions d’Afrique. Pour tester cette hypothèse, nous avons mis en place une large cohorte multinationale, l’étude CADRE (Cœur Artères DREpanocytose) dans 5 pays africains :
Cameroun, Côte d’Ivoire, Mali, Sénégal et Gabon, afin d’être en mesure de décrire avec robustesse les différentes complications cardiovasculaires de la drépanocytose. Plus de 4000 patients drépanocytaires sont inclus dans cette cohorte qui est la plus grande au monde. Notre ambition est de suivre ces patients à long terme afin de décrire l’incidence des complications vasculaires de la drépanocytose en Afrique en nous affranchissant du biais de mortalité, de rechercher leurs facteurs prédictifs et de mieux comprendre leurs mécanismes physiopathologiques.
Par exemple, l’hypothèse prévalente pour expliquer la survenue d’une vasculopathie drépanocytaire est que l'hémolyse entraîne la libération d’hémoglobine libre qui limite la biodisponibilité du NO, catalyse la formation de radicaux libres qui endommagent l’endothélium et déclenche une inflammation vasculaire chronique. La dysfonction endothéliale entraînerait une adhésion vasculaire accrue des cellules sanguines circulantes et des anomalies des voies de coagulation. Ces hypothèses, essentiellement issues d’études effectuées sur des modèles murins, sont étayées par des études cliniques qui suggèrent qu’un fort taux d’hémolyse serait associé à certaines complications comme l’HTAP, le priapisme et les ulcères de jambe, tandis qu’une viscosité plus élevée augmenterait le risque de crises vaso-occlusives douloureuses, de syndrome thoracique et d’ostéonécrose. Toutefois cette dichotomie est très discutée et il nous a donc paru important de tester cette hypothèse d’hyperhémolyse dans l’étude CADRE.
Tous les patients de l’étude CADRE provenant de la Côte d’Ivoire, du Cameroun et du Mali ont été inclus dans cette sous-étude et classés en deux groupes selon leur phénotype: SS- Sβ0 ou SC-Sβ+. L’hémolyse a été mesurée par un score composite créé par analyse en composante principale, comprenant les LDH, l’hémoglobine, la bilirubine et l’ictère clinique. L’association entre l’hyperhémolyse (définie comme le 4e quartile du score) et les complications vasculaires a été étudiée par régression logistique multivariée dans toute la population, après stratification selon le phénotype de l’hémoglobine et selon l’age. Au final, 2409 patients ont été inclus dont 1751 patients SS-Sβ0 et 658 patientsSC-Sβ+. Comparés aux patients SC-Sβ+, les patients SS-Sβ0 étaient plus jeunes (15 versus 21 ans) et avaient un score d’hémolyse plus élevé (médiane 1,18 versus 0,43). Après ajustement sur l’âge, le sexe et le pays, l’hyperhémolyse étaient associée à la glomérulopathire (OR=1,59 [1,17-2,16]) et au priapisme (OR=1,58 [1,01-2,49]). Chez les patients SS-Sβ0, l’hyperhémolyse était associée à la glomérulopathire (OR=1,54 [1,10-2,15]) et non significativement avec l’HTAP (OR=1,65 [0,91-2,98]) et les ulcères de jambes (OR=1,50 [0,95-2,39]). Chez les patients SC-Sβ+, l’hyperhémolyse était associée uniquement à la glomérulopathire. L’analyse dans la population enfant de retrouvait aucune association significative entre l’hyperhémolyse et les complications vasculaires.
En conclusion, chez les patients drépanocytaires africains, l’association entre l’hyperhémolyse chronique et les complications drépanocytaires vasculaires est statistiquement significative mais de faible amplitude, notamment chez les enfants. Notre étude suggère que la dichotomisation des patients drépanocytaires fondée sur l’hyperhémolyse est cliniquement peu pertinente en contexte Africain.
CARDIOPATHIE RHUMATISMALE INFRA-CLINIQUE
M. MIRABEL
Le concept de Cardiopathie Rhumatismale (CR) « infraclinique » a été présenté par M Mirabel (HEGP, Paris). Il est d’abord apparu chez des patients atteints de Rhumatisme Articulaire Aigu (RAA), pour s’étendre aux populations à risque (c’est-à-dire résidant en zone d’endémie). Les recommandations de la Fédération Mondiale du Coeur permettent de standardiser les critères diagnostiques échocardiographiques (Remenyi et al. Nat Rev Cardiol 2012). Malgré le nombre croissant d’études démontrant l’intérêt de l’échographie cardiaque dans le dépistage précoce (Röthenbuhler et al. Lancet Global Health 2015), certaines questions demeurent en suspens. La valeur pronostique de ces lésions valvulaires minimes reste à démontrer. Aussi est-il question des méthodes de dépistage, car celles utilisées dans le cadre de la recherche nécessitent des appareils onéreux et une expertise technique.
Des études publiées en 2015 avec un suivi allant de 2 à 5 ans ont démontré que la CR infraclinique, quoique modérée, persiste dans la majorité des cas (Mirabel et. al. Int J Cardiol 2015). Des lésions valvulaires mineures constituent un facteur de risque de présenter un accès de RAA (Rémond et al. Int J Cardiol 2015). Ces études récentes ne répondent cependant pas à la question de l'antibioprophylaxie secondaire par pénicilline. Cette dernière est recommandée par un groupe d'experts (Remenyi et al. Nat Rev Cardiol 2013) dans le cadre de la CR dite "certaine".
Les méthodes diagnostiques utilisées dans le cadre de la recherche ne sont probablement pas applicables dans les pays où la CR demeure endémique. Des méthodes simplifiées combinant l'utilisation d'échographes de poche, des utilisateurs non experts (personnel paramédical), et des critères simplifiés ont été testées par deux équipes avec des résultats encourageants (Beaton et al. JASE 2014; Mirabel et. al Circ CVI 2015). La sensibilité de ces méthodes est de l'ordre de 80 à 90% avec cependant une variabilité inter-opérateur moyenne. La standardisation de la formation du personnel infirmer pourrait améliorer la performance de l'échoscopie de dépistage (Engelman et al. Ann Pediatr Cardiol 2015).
Aussi, le rapport coût-efficacité du dépistage échographique reste-t-il à être chiffré. A l'heure actuelle?