Cas clinique. Thromboses multiples chez une femme jeune sur déficit en protéines S et C : à propos d’un cas.
Multiples thrombosis in a young woman with S and C protein deficiency : about a case .
A THIAM, BENON/ LE KABORE, WBA ZINGUE OUATTARA, S BANSE, GRC MILLOGO, G MANDI, KJ KOLOGO, ,KAGAMBEGA/ZIO LJ, NV YAMEOGO, P ZABSONRE.
RESUME
Introduction : Les thromboses à localisations atypiques et/ou multiples sont très souvent révélatrices d’anomalies de la coagulation. Nous rapportons un cas de thromboses multiples dans un contexte de déficit en protéines inhibitrices de la coagulation.
Observation : Il s’agit d’une patiente de 43 ans aux antécédents de thrombose veineuse profonde du membre pelvien gauche remontant à 5 ans et de quatre myomectomies, hospitalisée en cardiologie pour tuméfaction douloureuse et fébrile du membre supérieur droit révélant une thrombose. La patiente a présenté au cours de la même hospitalisation des céphalées intenses secondaires à une thrombose veineuse cérébrale du sinus sagittal. L’angioscanner thoracique réalisé dans le cadre du bilan d’extension de la thrombose a mis en évidence une embolie pulmonaire postéro-basale droite. Le bilan de thrombophilie réalisé a objectivé un déficit en protéine S à 49% et en protéine C à 60%. Une enquête familiale avec bilan de la thrombophilie a été proposée. Elle a été traitée par héparine de bas poids molécule puis un relais avec du rivaroxaban avec une indication de traitement au long cours. L’évolution au premier mois du traitement était favorable.
Conclusion : Le bilan de thrombophilie est indispensable pour le diagnostic et la prise en charge des thromboses multiples et atypiques du sujet jeune mais pose cependant le problème des coûts élevés de sa réalisation dans notre contexte.
MOTS CLES
Protéine S, protéine C, thrombose, thrombophilie.
SUMMARY
Introduction: Thrombosis in atypical and/or multiple locations is very often indicative of coagulation abnormalities. We report a case of multiple thromboses in a context of coagulation inhibitor protein deficiency.
Observation: This is a 43-year-old patient with a history of deep vein thrombosis of the left pelvic limb dating back to 5 years and four myomectomies, hospitalized in cardiology for painful and feverish swelling of the right thoracic limb revealing a thrombosis. The patient presented during the same hospitalization with intense headaches secondary to cerebral venous thrombosis of the sagittal sinus. The thoracic CT-angiography performed as part of the staging of the thrombosis revealed a right postero-basal pulmonary embolism. The thrombophilia assessment carried out elicited a deficit in protein S at 49% and protein C at 60%. Family survey with thrombophilia assessment was offered. She was treated with HBPM during hospitalization and after with rivaroxaban, and released for the continuation of her follow up as out patient on a long-term basis. The evolution in the first month of treatment was favorable.
Conclusion: Thrombophilia assessment is essential for the diagnosis and management of multiple and atypical thrombosis in young subjects, but nevertheless poses the problem of the high costs of its realization in our context.
KEY WORDS
Protein S, protein C, thrombosis, thrombophilia.
Centre Hospitalier Universitaire YALGADO OUEDRAOGO (CHUYO)
Adresse pour correspondance
Anna Thiam,
Tel : 00226 70333400
Mail : This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it. ,
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INTRODUCTION
Les thromboses vasculaires veineuses sont un problème majeur de santé publique dans le monde [1]. Elles se définissent par l’obstruction plus ou moins complète de la lumière veineuse par du matériel le plus souvent fibrino-cruorique à l’origine d’une inflammation. La maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV) regroupe deux entités qui sont la thrombose veineuse profonde (TVP) et sa complication précoce l’embolie pulmonaire (EP). Jadis réputée rare dans les années 90 en Afrique noire [C31] au point de faire parler de curiosité clinque par certains auteurs tels que Boukinda en 1996 [2], elle devient de plus en plus préoccupante. Ainsi, elle est une réalité et surtout une actualité dans le contexte VIH et récemment dans la maladie à coronavirus 2019 (Covid 19). Au Burkina Faso, les données hospitalières sont inquiétantes selon un registre sur les maladies thromboemboliques veineuses du CHUYO (REMAVET) avec une fréquence hospitalière en constante augmentation depuis 2010, atteignant 20 % en 2020[3,4].
A côté des localisations habituelles aux membres pelviens, il existe des thromboses atypiques de par leur siège ou par leur nombre. Elles sont le plus souvent révélatrices de maladies générales, de néoplasies, d’infections ou d’anomalies de la coagulation surtout chez les sujets jeunes [5,6,7]. Chez ces jeunes patients, le bilan étiologique, outre la sérologie rétrovirale VIH et le RT-PCR à SARS-CoV-2, doit comporter la recherche de thrombophilie et de maladie systémique. En effet, ce bilan de thrombophilie constitue parfois la seule issue trouvée une étiologie de la MTEV. Nous rapportons un cas de thromboses multiples chez une jeune patiente, révélatrices d'un déficit en protéine C et S.
OBSERVATION CLINIQUE
Une femme de 43ans, mariée, comptable, résidant à Ouagadougou a été admise le 22/10/2021 en hospitalisation du service de cardiologie du Centre Hospitalier universitaire Yalgado OUEDRAOGO pour tuméfaction douloureuse du membre supérieur droit qui évoluerait depuis trois jours, associée à des céphalées intenses en casque, dans un contexte apyrétique.
Elle est nulligeste, et est de groupe sanguin B rhésus positif ; son électrophorèse de l’hémoglobine est de profil AA.
Comme antécédents médicaux personnels, elle a été hospitalisée dans le même service en 2016 pour thrombose veineuse profonde (TVP) du membre pelvien gauche traitée par antivitamines K pendant sept (07) mois et déclarée guérie. Sur le plan gynécologique, elle a bénéficié de quatre myomectomies pour fibromes utérins récidivants, dont la dernière remonte à trois ans.
Au plan familial, sa grande sœur et sa nièce avaient été hospitalisées et prise en charge pour embolie pulmonaire (EP) respectivement en janvier 2021 et en 2016. Ces embolies pulmonaires étaient secondaires à une infection à SARS- CoV-2 chez sa sœur et secondaire à une césarienne chez sa nièce.
L’examen clinique de la patiente, le jour de l’admission, avait permis de noter un état général stade II de la Performans Status de l’Organisation Mondiale de la Santé, une pâleur conjonctivale et palmo-plantaire, une pression artérielle à 112/76 mmHg, une fréquence cardiaque à 98battements par minute, une saturation périphérique en oxygène à 98% à l’air ambiant, une température à 37.6°C, une tuméfaction inflammatoire du membre céphalique droit. L’échographie Doppler veineuse réalisée a mis en évidence une thrombose de la veine céphalique du membre supérieur droit (Figure1). Un traitement à base de rivaroxaban comprimé de 15 mg deux fois par jour a alors été prescrit.
Au dixième jour du traitement, devant l’exacerbation de céphalées en casque sans fièvre ni déficit neurologique focal ni syndrome méningé, et l’apparition d’une douleur basithoracique droite à, type point de côté, d’intensité modérée, associée à une polypnée superficielle, des examens d’imagerie furent demandés. Le scanner cérébral et l’angioscanner thoracique ont révélé respectivement une thrombose veineuse cérébrale bifocale du sinus sagittal (Figure 2) et une embolie pulmonaire lobaire inférieure droite (Figure3).L’échographie Doppler veineuse des membres inférieurs et l’échocardiographie Doppler transthoracique réalisée dans le cadre du bilan étiologique et de retentissement étaient revenues sans anomalies. L’échographie abdomino-pelvienne mettait en évidence un utérus vide polymyomateux avec dystrophie ovarienne bilatérale macrofolliculaire. Devant ce contexte le rivaroxaban fut arrêté et la patiente fut mise sous héparine de bas poids moléculaire, à dose anticoagulante toutes les douze heures.
A la biologie, on notait : une anémie microcytaire normochrome à 5g/dl avec un fer sérique abaissé à 1,77 umol/L et un coefficient de saturation de la transferrine à 2%, le test PCR de la Covid-19, la sérologie rétrovirale à VIH 1 et 2, hépatique virale B et C sont revenues négatifs la recherche d’anti-corps anti-peptides citrullinés (Ac anti-CCP2) et d’anti-corps anti ADN natifs sont également revenus négatifs.
Le bilan de la thrombophilie, disponible dans notre contexte, qui comportait le dosage des protéines S et C, du facteur V de Leiden et de l’antithrombine III a révélé un déficit partiel en protéine C à 60 % et en protéine S à 49 %. L’antithrombine III, le facteur V Leiden, l’homocystéinémie et les Anticorps anti-phospholipides étaient normaux. Le bilan de la thrombophilie a été proposé à la famille particulièrement la grande sœur et la nièce. Il n’a pas montré d’anomalies pour la grande sœur et n’a pas pu être réalisé chez sa nièce.
L’étiologie d’un déficit en protéines C et S a été retenue. Le rivaroxaban a été réintroduit après dix jours de traitement à base d’héparine de bas poids moléculaire, et a été indiqué à vie.
Ce traitement est associé à des progestatifs purs, du fer et des bas médicaux de contention-compression force 2. Une hystérectomie différée a été proposée par son gynécologue.
DISCUSSION
La maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV) devient un problème de santé publique avec une incidence annuelle mondiale de 183/100 000 personne/an en 2013 [1]. Cette incidence a connu une hausse avec l’avènement de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19). Au Burkina Faso,un registre de collecte prospective sur la MTEV du service de cardiologie du CHU-YO notait une fréquence hospitalière de la MTEV de 20,26% en 2015 et de 18% en 2020, faisant de la MTEV la deuxième cause d’hospitalisation en cardiologie après l’insuffisance cardiaque [3,4].Dans la pratique cardiologique courante, il existe de nombreuses localisations classiques. Cependant, il peut exister des présentations cliniques inhabituelles quant au nombre et au siège de la thrombose. Notre patiente a présenté des thromboses multiples et de sièges particuliers : des thromboses du membre céphalique droit, cérébrales et une embolie pulmonaire évoluant simultanément.Selon certains auteurs, les thromboses étaient de siège insolitedans 46,3 % des cas [5]. Elles concernent surtout les sujets jeunes 45ans environ [5]. Dès lors, le défi demeure la recherche étiologique. Selon une étude tunisienne, les étiologies de la MTEV du sujet jeune sont variées, telles que le syndrome néphrotique, le lupus systémique, le syndrome des anti phospholipides et la thrombophilie. Les cas atypiques sont le plus souvent révélateurs de thrombophilie [6,7].Le terme « thrombophilie » désigne une prédisposition à la formation intravasculaire de caillots sanguins pathologiques. Beaucoup d’auteurs ont rapporté dans la littérature des cas de thromboses insolites telles des thromboses mésentériques, spléno-portales, mésaraïques, cérébrales (sinus transverse gauche et sigmoïde), jugulaire interne gauche et de la veine cave supérieure [6, 7, 8,13].Dans la classique triade de V irchow, trois facteurs interviennent dans la genèse des thromboses : pariétal, plasmatique et hémodynamique. Les protéines S et C sont des facteurs plasmatiques, inhibiteurs physiologiques de la coagulation vitamine k-dépendants. La protéine C inhibe les facteurs Va et VIII a en utilisant la protéine S comme cofacteur [9,10,11]. Ainsi, un déficit constitutionnel ou acquis de ces éléments est source de thromboses. En effet, selon Nordsrtöm, le déficit en protéine S est à l’origine d’un risque accru de thromboses et l’incidence annuelle de la première thrombose veineuse est cinq à dix fois plus élevée qu’en population générale [11]. Il en est de même pour le déficit isolé en protéine C [1,5,8]. Cette première thrombose siège aux veines profondes dans 60 % cas, aux veines superficielles dans 27 % et aux artères dans 13 % des cas [8,11].Ces déficits isolés sont responsables de thrombose avant 45 ans dans un tiers des cas[l].Ce constat est confirmé chez notre patiente qui a présenté un premier épisode de thrombose veineuse profonde à 38ans. La combinaison de deux ou plusieurs facteurs augmente de façon multiplicative le risque de thrombose [11,12]. L’association déficit en protéine C et S même léger multiplie le risque. Notre patiente cumulait un déficit en protéines S et C, pouvant expliquer ces thrombose multiples et atypiques .Il existe également le cas des thromboses récidivantes aussi liées aux anomalies thrombophiliques. Khedhiria décrit un cas de thromboses récidivantes d’abords vasculaires en hémodialyse en rapport avec un déficit sévère en protéine S et C[12].La thrombophilie est déterminée par des facteurs congénitaux et/ou acquis qui, seuls ou en association, augmentent le risque thrombo-embolique. Dès lors s’agit-il d’un déficit acquis ou constitutionnel, la thrombophilie héréditaire est le plus souvent causée par un déficit en protéines anticoagulantes naturelles (antithrombine III, protéine C, protéine S), une dysfibrinogénémie génétique, une hyperhomocystéinémie sévère ou une mutation du facteur II ou du facteur V en facteur V de Leiden. Les anomalies thrombophiliques dans la population générale sont relativement faibles : 0,01 pour la protéine S et 0,15 pour la C [9,10,11,13].La cause héréditaire a été évoquée chez notre patiente et un dépistage a été effectué dans la famille. L’arbre généalogique montrant le risque est établi à cet effet (Figure 5).
Cependant il faut noter que d’autres facteurs acquis augmentent le risque thrombo-embolique, seuls ou en association et doivent être recherchés. La thrombophilie clinique résulte en effet d’une interaction gène-gène ou gène-environnement. Bien que le bilan de la thrombophilie reste systématique pour nos patients jeunes souffrant de MTEV non provoquée, il doit cependant être règlementé et bénéficié d’un appui. Les tests génétiques devraient uniquement être réalisés en cas d’indication stricte, toute chose contribuant à limiter la demande systématique.
Lors du premier épisode de thrombose veineuse chez notre patient, une cause mécanique due à son utérus polymyomateux avait été retenue.
La prise en charge de la thrombophilie est préventive et curative. Il faut donc identifier les patients devant profiter d’une anticoagulation à long terme et ceux devant bénéficier d’une prophylaxie particulière. Concernant le traitement curatif, même si les anticoagulants oraux directs (AOD)ont montré leur efficacité dans le traitement de la MVTE avec déficit en protéine S et/ou C, leur utilisation reste confrontée aux limites financières dans notre contexte de pays à ressources limitées[14].Ce qui explique souvent le choix porté sur les anti-vitamines K avec comme désagrément la réalisation régulière de contrôle d’INR, indispensables à la surveillance du traitement[14].Concernant le traitement préventif, certaines mesures sont nécessaires en prévention primaire en cas d’anomalie thrombophilique chez un membre de la famille basées sur une enquête rigoureuse concernant les antécédents personnels de la personne et consistant en l’éviction d’une immobilisation et/ou d’une déshydratation, au port des bas médicaux de contention- compression (en cas d’immobilisation ou d’alitement , de voyage de durant plus de 4 heures, de grossesse, ou en postopératoire) et l’éviction de thérapeutique à base d’œstrogènes. Un dépistage familial chez notre patiente a été indiqué mais la réalisation du bilan de thrombophilie s’est rapidement heurtée aux difficultés financières.
Le diagnostic étiologique demeure la pierre angulaire de la prise en charge des thromboses veineuses, essentielle pour déterminer la durée du traitement. Dans notre contexte, nous sommes rapidement confrontés à la problématique du coût et de la disponibilité quant à la réalisation des explorations, expliquant l’acheminement des prélèvements hors du pays. De plus, la précarité financière pour la majorité des patients et une couverture médicale quasi inexistante restent des facteurs non négligeables. Signalons néanmoins que notre patiente bénéficiait d’une assurance médicale, ce qui lui a permis d’avoir un bilan relativement complet dans notre contexte.
CONCLUSION
La MVTE peut être atypique, récidivante et multiple. Une enquête étiologique rigoureuse chez le sujet jeune permet souvent d’enretrouver la cause, cette dernière peut être un déficit en protéines S et/ou C. Une enquête familiale doit être menée en vue d’une prévention primaire efficace.
Le traitement anticoagulant sera au long court, voire à vie, car la correction d’un tel déficit reste encore du domaine de la recherche.
Conflits d’intérêt : les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt
Figure 1 : Echographie Doppler veineuse du membre supérieur droit mettant en évidence une thrombose de la veine céphalique.
Figures 2 et 3 : Scanner cérébral montrant une thrombose veineuse
cérébrale bifocale du sinus sagittal.
Figure 4 : Angioscanner thoracique mettant en évidence une embolie pulmonaire droite sans lésion pulmonaire évocatrice de COVID-19.
Figure 5 : Schéma de l’arbre généalogique de la famille de la patiente mettent en évidence les cas de MTEV (Enquête familiale).
REFERENCES
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