Thrombose veineuse profonde des membres inférieurs: A propos de 40 cas colligés à Conakry.
Deep Venous Thrombosis of the lower limbs in Conakry:
A series of 40 cases.
SYLLA D1,SYLLA IS22, CAMARA I3, KAKE A3 , BEAVOGUI M2, DOUMBOUYA M2,BALDE EY2,DIALLO AS4,BARRY A2,TRAORE F A5,DIANE B F7,FADIGA MS6,SAKO FB5,BALDE MD2,CONDEM2
RESUME
Introduction : La thrombose veineuse profonde est une affection multifactorielle et sa prévention demeure une préoccupation quotidienne en milieu médico-chirurgical. L’objectif de cette étude était de décrire les aspects épidémiologiques, cliniques, paracliniques et évolutifs des thromboses veineuses des membres inférieurs à Conakry.
Patients et méthodes : Il s’agissait d’une étude rétrospective et descriptive menée au service de Cardiologie de l’Hôpital National Ignace Deen sur une période de cinq ans entre janvier 2010 et décembre 2015. Tous les dossiers des patients hospitalisés pour une TVP des membres inférieurs confirmée à l’écho-Doppler veineux étaient revus.
Résultats : Durant cette période nous avons colligés 40 cas de TVP sur 3082 hospitalisations soit une prévalence de 1,3% des cas. L’âge moyen était de 51 ans avec des extrêmes de 20 ans et 80 ans. L’alitement prolongé et la prise de contraceptif ont été les facteurs de risque les plus dominants dans 55%. La douleur du membre inferieur et l’augmentation de la chaleur locale ont été les maîtres symptômes dans 85 %. L’écho-Doppler veineux des membres inférieurs avait mis en évidence la présence d’un thrombus localisé au niveau de la veine fémorale commune chez 20 patients soit 50%.L’Héparine de bas poids moléculaire (85%) et l’anti-vitamine K (100%) ont été les molécules utilisées. L’évolution était favorable dans 82,5%. Cependant, nous avons enregistré 17,5% cas de décès probablement liés à l’embolie pulmonaire et au cancer.
Conclusion : La thrombose veineuse profonde des membres inférieurs est une réalité dans notre milieu. Elle est présente dans 1% des cas hospitalisés et son pronostic est sombre lorsqu’elle est associée à une embolie pulmonaire ou à un cancer.
MOTS CLES
Thrombose veineuse profonde, Membre inférieur, Conakry.
SUMMARY
Introduction: Deep venous thrombosis (DVT) is a multifactorial disease, and its prevention remains a daily concern in the hospital milieu. The objective of this study was to describe the epidemiological, clinical, para–clinical aspects and evolution of deep venous thrombosis of the lower limbs in Conakry.
Patients and methods: This was a retrospective and descriptive study conducted in the cardiology department of the Ignace Deen National hospital over a period of five years, between January 2010 and December 2015. All records of patients hospitalized for Doppler confirmed DVT of the lower limbs were reviewed.
Results: During this period, 3082 patients were hospitalized of which 40 had DVT, giving a prevalence of 1.3%. The average age was 51 years, and ranged from 20 years to 80 years. Prolonged bed rest and contraceptive use were the most frequent risk factors in 55%. Pain and increase local temperature were the main symptoms in 85% of cases. The thrombus was located in the common femoral vein in 50% of cases. Low molecular weight heparin and the anti-vitamin K were used in 85% and 100% of patients respectively. The evolution was favorable in 82.5% of our patients. Cases of death (17.5%) were due to pulmonary embolism and cancer.
Conclusion: Deep venous thrombosis was seen in about one percent of hospitalized patients, with a poor outcome when associated with pulmonary embolism and malignancy.
KEY WORDS
Deep vein thrombosis, lower limb, Conakry
1-Service des Urgences médico-chirurgicales de l’Hôpital National Donka
2-Service de Cardiologie de l’Hôpital National Ignace Deen
3-Service de la Diabétologie et des maladies métaboliques de l’Hôpital National Donka
4-service de Médecine interne Hôpital National Donka
5-Service des Maladies infectieuses et tropicales de l’Hôpital National Donka
6-Service Odontostomatologie de l’Hôpital National Donka
7-Service de Dermatologie de l’Hôpital National Donka
Adresse pour correspondance :
Dr Djibril SYLLA,
Maître-Assistant, Unité des soins intensifs, service des urgences de l’Hôpital National Donka.
BP: 909 Conakry
Tel: (+224) 622 648 058/666 890 813
E-mail: This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it. ,
INTRODUCTION
La maladie thromboembolique veineuse (MTEV) est une entité unique qui regroupe deux expressions cliniques principales : La thrombose veineuse profonde (TVP) et l’embolie pulmonaire (EP) [1]. La TVP est une affection fréquente et sa complication la plus redoutable est l’EP. Les données épidémiologiques de la thrombose veineuse profonde des membres inférieurs sont peu nombreuses et proviendraient pour la plupart des études réalisées dans les pays d’Europe ou bien aux Etats-Unis. Elles varient de 0,48 à 1,60 évènements /1000 [2,3].Les TVP connaissent depuis ces dernières années une croissance considérable en milieu tropical, ceci grâce aux progrès diagnostiques réalisés par l’emploie systématique de l’écho-Doppler et surtout de l’émergence de nouveaux facteurs de risque liés au changement de mode de vie (Sédentarité, tabagisme, dyslipidémie, prise des oestro-progestatifs) [4]. En Afrique, les données épidémiologiques sur la TVP des membres inférieurs sont rares et de recueil difficile. Cependant, certaines études réalisées en milieu hospitalier donnent des prévalences variant d’un pays à un autre ; 1,1% au Congo Brazzaville [5], 2,78% au Sénégal [6] et 1,88% au Mali [7]. L’absence de données dans notre pays, nous a amené à entreprendre ce travail avec pour objectif : de décrire les aspects épidémiologiques, cliniques, paracliniques et évolutifs des TVP des membres inférieurs à Conakry.
PATIENTS ET MÉTHODES
Il s’agissait d’une étude rétrospective et descriptive menée au service de cardiologie de l’Hôpital National Ignace Deen sur une période de cinq ans entre janvier 2010 et décembre 2015. Les dossiers des patients hospitalisés dans le service durant cette période ont été revus. Ont été inclus, tous les patients hospitalisés pour une TVP des membres inférieurs, diagnostic qui était établi sur la base des signes cliniques et confirmé à l’écho-Doppler veineux. N’ont pas été inclus les patients dont le diagnostic de TVP a été posé sans confirmation paraclinique. Tous les patients ont bénéficié d’un interrogatoire à la recherche des facteurs de risque et des signes fonctionnels, d’un examen physique complet à la recherche du signe de Homans, d’une diminution du ballottement des mollets et d’une augmentation de la chaleur locale. La probabilité clinique a été évaluée selon le score de Wells [8]. Elle a été dite forte lors que le score était supérieur ou égal à 3, intermédiaire pour un score entre 1 et 2, faible pour un score inférieur à 1. Les données complémentaires (l’électrocardiogramme, la radiographie thoracique de face, l’échographie cardiaque à la recherche d’un thrombus intra cavitaire, l’écho-Doppler veineux avec un appareil de marque ALOKA SSD Alpha 10, doté de sonde 7.5 Mhz et de la technologie Doppler, le dosage des D-dimères, le bilan de la coagulation, la sérologie rétrovirale pour une exploration du terrain) ont été recueillies. L’angioscanner thoracique a été réalisé dans les cas de suspicion d’embolie pulmonaire. Les moyens de prise en charge et l’évolution hospitalière ont également été étudiés. L’évolution favorable était marquée par la régression des signes cliniques avec un contrôle paraclinique stable.
Nos données ont été collectées sur des fiches d’enquêtes préétablies, dépouillées de façon manuelle, saisies et analysées à l’aide du logiciel Epi Info dans sa version 3.5.1. Les variables qualitatives ont été exprimées en effectifs et pourcentages.
RESULTAT
Durant ces cinq ans, nous avons colligé 40 cas de TVP des membres inférieurs sur un total de 3082 patients hospitalisés soit 1,30 %. Il s’agissait de 28 femmes et 12 hommes avec un sex-ratio H/F de 0,42. L’âge moyen était de 51 ans avec des extrêmes de 20 ans et 80 ans. Les ménagères étaient les plus touchées de la TVP dans 47,5% des cas, suivies des fonctionnaires dans 17,5%. La symptomatologie des TVP était dominée par l’augmentation du volume du membre inferieur et de la chaleur locale dans 85% des cas. Une fièvre modérée était présente chez trois patients. Les différents facteurs de risque de la TVP des membres inférieurs sont regroupés dans le (tableau 1). A l’écho-Doppler, la moitié des patients avait une localisation fémorale commune (figure 1), les autres localisations étaient retrouvées dans les proportions inferieures (veine ilio-fémorale dans 4 cas, fémero-poplitée chez 10 patients et la veine surale profonde dans 6 cas).La compression élastique était systématique dans 100 % des cas. Trente-quatre (34) patients soit 85 % avaient reçu de l’héparine de bas poids moléculaire (HBPM). Il s’agissait de l’Enoxaparine sodique. L’anti vitamine K Acénocoumarol (AVK) a été utilisée chez tous nos patients y compris les six autres patients qui n’avaient pas de moyens de moyens financiers pour s’acheter de l’HBPM. Un antalgique était prescrit pour calmer la douleur dans 65% des cas. L’International Nor- malizing Ratio (INR) de 90% des patients se trouvait dans la zone thérapeutique à la sortie. L’évolution favorable avec régression des signes cliniques sous traitement était notée chez 33 patients (82,5%). Cependant, nous avons enregistré 7 cas de décès, soit 17,5% des cas, secondaires à l’embolie pulmonaire ou à un au cancer.
DISCUSSION
Comme toute étude rétrospective, ce travail à des limites notamment la recherche des déficits constitutionnels de l’hémostase (antithrombine III, protéine S et protéine C) n’a pas été effectuée. La prévalence trouvée dans notre étude était de 1,30%, ce qui ne reflète pas les réalités de notre service, certains dossiers incomplets et ceux dont le diagnostic était essentiellement clinique n’ayant pas été pris en compte. Néanmoins, elle est comparable aux données africaines où elle varie entre 2 et 3% [6, 9, 10,11].Nous avons noté une prédominance chez les femmes dans notre série avec un sex-ratio H/F = 0,42 ; cette prédominance pourrait s’expliquer par le fait que les femmes présentent des facteurs de risque particuliers notamment la contraception, la grossesse, le post-partum et le traitement hormonal substitutif. Cette observation a été rapportée par certains auteurs [6, 12,13]. Par contre, dans une étude réalisée au Mali Sangaré I et al. avaient trouvé une répartition égale avec un ratio égal à 1[7]. Dans notre série l’âge moyen des patients était de 51 ans avec des extrêmes de 20 ans et 80 ans. La tranche d’âge de 62 ans à 71 ans a été la plus représentée soit 35%. Selon les données de la littérature [14, 15,16] la TVP survenait le plus souvent à un âge plus avancé et il représentait un facteur important dans la survenue de cette affection. Les ménagères représentaient la couche socioprofessionnelle la plus touchée dans 47,5% des cas. Ceci s’expliquerait par leur bas niveau économique. L’alitement prolongé et la prise de contraceptif ont été les facteurs de risque les plus dominants dans 55% des cas chacun. Ce résultat était contraire à celui de Denakpo JL et al. [11] qui ont plutôt trouvé l’obésité et la sédentarité comme facteurs prédominants. D’autres facteurs de risque ont été retrouvés dans des proportions inférieures. Cependant, les facteurs de risque constitutionnel (Antithrombine III, protéine C et S) n’ont pas été recherchés, car ses examens ne sont pas encore disponibles chez nous. La douleur du membre inferieur et l’augmentation de la chaleur locale ont été les maîtres symptômes dans 85% chacune. Pourtant, les signes cliniques ne sont pas toujours spécifiques d’où la mise en place de scores de prédiction clinique pour une estimation de la probabilité clinique de cette dernière [9,17]. Le recours systématique à l’écho-Döppler veineux des membres inférieurs nous a permis de trouver des signes directs (Visualisation d'un thrombus endoluminal) et indirects (Incompressibilité de la veine et absence de flux veineux au Doppler) de la TVP. La sensibilité et la spécificité de cet examen sont meilleures lorsque la thrombose est proximale et symptomatique [17]. Il s’agissait de 75 % de thrombus intraluminal et de 25 % d’incompressibilité de la veine sans visualisation parfaite du caillot. Ce résultat se rapproche de celui de Kingué S et al. [18] qui ont rapporté 12 cas de thrombus localisé dans la veine poplité soit 66,67% des cas de leur série. La prise en charge thérapeutique initiale et la phase de relais entre l’Héparinothérapie et les anticoagulants oraux sont bien définis en pratique médicale. Dans notre série 34 patients ont été traités par l’HPBM et le relais fait par l’AVK et 6 patients ont été soumis à l’AVK sans traitement préalable de l’HBPM faute de moyens financiers. Cette méthode de traitement a été utilisée dans la plupart des études africaines [7].Tous nos patients ont effectué régulièrement des dosages du TP et de l’INR pour une meilleure surveillance thérapeutique du traitement anticoagulant. Une bonne amélioration avec régression des signes cliniques a été observée chez 82,5% de nos patients. Par contre, nous avons enregistré 17,5% de décès. Notre résultat est proche de celui rapporté par Kingué S et al. [18] ou 16,67% des cas étaient rapportés, secondaires à une embolie pulmonaire.
Tableau 1
Répartition des patients selon les facteurs de risque de la TVP des membres inferieurs
Facteurs de risque |
Effectif |
Pourcentage |
Causes obstétricales |
5 |
12,5 |
Obésité |
7 |
17,5 |
Chirurgie récente |
7 |
17,5 |
Chimiothérapie (cancer) |
2 |
5 |
Alitement prolongé |
22 |
55 |
Prise de contraceptifs (oestro-progestatifs) |
22 |
55 |
CONCLUSION
La thrombose veineuse profonde est une réalité sous-évaluée dans le service de Cardiologie de l’Hôpital National Ignace Deen de Conakry. Elle prédominait chez les femmes et les sujets âgés. Les facteurs de risque restent dominés par l’alitement prolongé et la prise de contraceptifs oraux. L’identification précoce des facteurs et des patients à risque dans notre milieu s’avèrent nécessaires pour prévenir les complications.
Figure 1 : Localisations de TVP des membres inférieurs
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