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Affections cardio-vasculaires chez les patients à sérologie VIH positive non traités par anti-rétroviraux. Cardiovascular diseases in HIV patients not receving antiretroviral therapy.

ANZOUAN-KACOU J.B. , DOGOUA P. , KONIN C. , COULIBALY I. , OUATTARA I. ,

EHOLIÉ S.P. , ABOUO-N’DORI R. 

 

 

RESUME

    Le but de notre étude était de décrire les atteintes cardiaques et vasculaires rencontrées chez les patients infectés par le VIH et  non traités par anti-rétroviraux.  Il s’agit d’une étude rétrospective, portant sur l’analyse des dossiers de patients hospitalisés de janvier 2001 à février 2007 (6 années) à l’Institut de Cardiologie d’Abidjan (Côte d’Ivoire). 244 patients ayant bénéficié d’une sérologie VIH ont été répartis en deux groupes : Groupe S+ (119 patients ayant une sérologie VIH positive ) et Groupe S- (125 patients ayant une sérologie VIH négative). L’âge, le sexe, les motifs de consultation, les données de l’examen clinique, les diagnostics lésionnels, les principaux traitements médicamenteux et l’évolution ont été comparés entre les 2 groupes.

La série se composait de 137 hommes (56,1%) et de 107 femmes (43,9 %) d’âge moyen de 37,9 +/-13 ans, superposable dans les 2 groupes. La dyspnée et la toux constituaient des motifs statistiquement plus fréquents dans le groupe S+. L’état général était moins souvent bon dans le groupe S+ (28,2 % vs 57,7 %, p = 0,000005).  Les patients S+ étaient plus souvent hospitalisés pour péricardite liquidienne (41,1 % vs 20 %, p = 0,003) et hypertension artérielle pulmonaire d’allure primitive (10,9 % vs 0,8 %, p = 0,0006). Il existait une plus forte prévalence de cardiomyopathie dans la population S+ que dans la population S- (42,8 % vs 31,2 %, p = 0,05), à la limite de la significativité statistique. L’évolution hospitalière était favorable chez 89,9 % des patients dans le groupe S+ et  90,4 % des patients dans le groupe S- (p = 0,89).  Le taux de perdus de vue à 1 mois était plus important dans le groupe S+ (46,2 % vs 32,8 %, p = 0,03). Ce travail souligne la fréquence particulière des péricardites, des hypertensions artérielles pulmonaires d’allure primitive et des cardiomyopathies et donc la nécessité de dépister l’infection à VIH chez les patients atteints de ces pathologies.

SUMMARY

We aimed to describe cardio-vascular manifestations in patients infected with HIV and not receiving anti-retroviral therapy. This is a retrospective study based on the analysis of records of patients hospitalized from January 2001 to February 2007 (6 years) at the Institute of Cardiology of Abidjan (Côte d'Ivoire).

244 with HIV screening results were divided into two groups : Group S +: (119 HIV positive patients) , group S- (125 HIV negative patients). The parameters of age, sex, reasons for consultation, data from clinical examination, echographic parameters, main drug treatments and trends were compared between the 2 groups. The series consisted of 137 men (56.1%) and 107 women (43.9%), mean age 37.9 + / -13 years, superimposable in the 2 groups. Dyspnea and cough were statistically more frequent patterns in group S +. The general condition was less often good in the S + group (28.2% vs. 57.7%, p = 0.000005). S + patients were more hospitalized with pericarditis (41.1%  vs 20%, p = 0.003) and pulmonary hypertension (10.9% vs 0.8%, p = 0.0006 ). There was trend towards a higher prevalence of cardiomyopathy in the group S+ (42.8% vs. 31.2%, p = 0.005). Clinical outcome was similar into the 2 groups: the in hospital evolution was favorable in 89.9 % of patients in the group S+ and in 90.4 % in the group S- (p = 0.89). The rate of lost patients at 1 month was greater in the group S+ (46.2% vs. 32.8%, p = 0.03). We emphasize the particular frequency of pericarditis, pulmonary arterial hypertension and cardiomyopathies and hence the need to detect HIV infection in these conditions.

 

INTRODUCTION

L’infection à VIH est devenue une cause majeure d’atteinte cardiaque, vasculaire,  et d’insuffisance cardiaque [1]. Ces atteintes sont multifactorielles, pouvant être liées au virus lui-même ou aux affections opportunistes [1,2]. Leur prévalence est mal connue et varie largement entre 30 et 80 % en fonction de la définition de l’atteinte cardiaque, de la méthode de dépistage et du niveau d’immunodépression [1 – 4].Leurs expressions cliniques parfois dissimulées par les manifestations extracardiaques  peuvent engager le pronostic vital des patients.  Au cours de l’infection par le VIH, toutes les tuniques cardiaques peuvent être touchées [5], rendant compte du polymorphisme des tableaux cliniques. Le but de notre étude était de décrire les atteintes cardiaques et vasculaires rencontrées chez les patients infectés par le VIH et  non traités par anti-rétroviraux.

 

MATERIEL ET METHODE

Il s’agit d’une étude rétrospective, transversale, portant sur l’analyse des dossiers de patients hospitalisés sur  une période de 6 années,  de janvier 2001 à février 2007, à l’Institut de Cardiologie d’Abidjan (Côte d’Ivoire).

 

Critères d’inclusion

Ont été inclus tout patient d’âge supérieur ou égal 18 ans, hospitalisés à l’Institut de Cardiologie d’Abidjan, ayant fait l’objet d’une demande de sérologie VIH avec résultat documenté.

 

Critères de non inclusion

Les patients ayant un résultat de sérologie VIH discordant, des facteurs de risques cardio-vasculaires préexistants,  ceux qui ont  pris des anti-rétroviraux, ou qui ont eu une sérologie VIH dans le cadre d’un bilan systématique en vue d’une intervention chirurgicale, n’ont pas été inclus.

Dans la période considérée, nous avons répertorié 1180 demandes de sérologie.  En tenant compte de nos critères de sélection, nous avons retenu 244 patients.

Ceux-ci ont été répartis en deux groupes :

Groupe S+ : 119 patients ayant une sérologie VIH positive.

Groupe S- : 125 patients ayant une sérologie VIH négative.

 

Paramètres analyses

L’âge, le sexe, les motifs de consultation, les données de l’examen clinique, les diagnostics lésionnels et les principaux traitements médicamenteux  ont été analysés.

L’évolution clinique a également été étudiée.

L’évolution favorable était définie par une amélioration et une disparition des signes cliniques à la sortie du malade. Une évolution défavorable était définie par le décès des malades en hospitalisation.

Le taux de perdus de vue à un mois de la sortie de l’hospitalisation a été évalué. Etaient considérés comme perdus de vue les patients ne s’étant pas présentés en consultation de contrôle 1 mois après l’hospitalisation.

 

Analyse statistique

Les résultats des différents paramètres ont été analysés par le logiciel Epi Info 6.04 (CDC Atlanta). Les variables continues ont été  exprimées sous forme de moyenne plus ou moins  la déviation standard. La comparaison des moyennes entre les 2 groupes a été réalisée par analyse des variances (test t de Student pour 2 échantillons) ; celle des proportions entre les 2 groupes a été effectuée par le test de test de chi 2. Une  valeur de p < 0,05 était considérée comme étant statistiquement significative.

 

RESULTATS

La série se composait de 137 hommes (56,1%) et de 107 femmes (43,9 %)  avec un sex ratio H/F de 1,2.

L’âge moyen était de 37,9 +/-13 ans avec des extrêmes de 18 et 88 ans (tableau I). La moyenne d’âge était superposable dans les 2 groupes.

Dans le groupe S+, 94 patients (79 %) étaient infectés par le VIH1, 9 patients (7,6 %) étaient infectés par le VIH 2 et 16 patients (13,4 %) présentaient une co-infection VIH1-VIH2.

Dans la population générale d’étude, les 6 principaux motifs de consultation étaient la dyspnée (67,6 % des motifs), la toux (22,1 %),  un œdème unilatéral  inflammatoire (15,6 %), des œdèmes des membres inférieurs non inflammatoires (15,6 %), la douleur thoracique (14,3 %) et la cardiomégalie radiologique (6,6 %).

La comparaison de la prévalence de ces motifs dans les 2 groupes apparaît dans le tableau 1. La dyspnée et la toux constituaient des motifs statistiquement plus fréquents dans le groupe S+.

L’état général était moins souvent  bon dans le groupe S+ (28,2 %) que dans le groupe S- (57,7 %), p = 0,000005.

Le tableau II résume les diagnostics lésionnels retrouvés chez tous les patients et permet la comparaison entre les 2 groupes S+ et S-. Les patients S+ étaient de façon statistiquement significative plus souvent hospitalisés pour péricardite liquidienne et hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) d’allure primitive. Toutes les péricardites liquidiennes ont été considérées comme étant d’étiologie tuberculeuse, sur la base d’épanchements exsudatifs et lymphocytaires. Il existait une tendance à une plus forte prévalence de cardiomyopathie dans la population S+ que dans la population S-, à la limite de la significativité statistique.

Les traitements digitaliques et anti-tuberculeux étaient significativement plus utilisés dans le groupe S+. Les anti-arythmiques étaient plus utilisés dans le groupe S- (tableau III).

Pour l’ensemble des patients de la série, l’évolution hospitalière a été jugée favorable pour  215 patients (88,1% des patients). L’évolution a été favorable chez 107 patients dans le groupe S+ (89,9 %) et chez 113 patients dans le groupe S- (90,4 %), p = 0,89

Le taux de perdus de vue à 1 mois était de 39,3 % sur l’ensemble de la population d’étude. Ce taux était de 46,2 % dans le groupe S+ et de 32,8 % dans le groupe S- (p = 0,03).

 

DISCUSSION

Cette étude rétrospective connaît des limites. 

La sélection des patients a été réalisée dans les registres d’archivage, sur la base des résultats des sérologies VIH. Celles-ci n’ont pas été toujours réalisées systématiquement et consécutivement. Les sérologies étaient demandées sur une suspicion clinique en fonction de l’état général, des antécédents des patients et des pathologies retrouvées (par exemple la péricardite), faisant suspecter un terrain d’infection VIH.

La non évaluation du taux de CD4 et de la charge virale de façon systématique chez les patients S+ entraîne une impossibilité d’évaluer avec exactitude le niveau de dépression immunitaire et ainsi d’identifier le type d’affection cardio-vasculaire en fonction du niveau de dépression. Les stades de séropositivité et de SIDA  maladie n’ont pas pu être clairement identifiés.

Il n’existait pas de renseignement fiable après un mois de suivi, notamment sur l’orientation des patients S+ vers les centres spécialisés pour la prise en charge de leur infection par le VIH.

 

En tenant compte de ces limites , nous avons pu établir le panorama des atteintes cardiaques et vasculaires qui semblaient plus fréquentes en contexte  d’infection à VIH,  en comparant des patients à sérologie VIH positive avec des patients à sérologie VIH négative.

La prévalence exacte de l’atteinte cardio-vasculaire au cours de l’infection à VIH est mal connue, variant largement entre 20 et 80 % en fonction de la méthode utilisée [1, 3,4].

Dans notre étude, les patients du groupe S+ étaient de façon statistiquement significative plus souvent hospitalisés pour péricardite liquidienne (41,1 % vs  20 %, p = 0,003, tableau II) et HTAP d’allure primitive (10,8 % vs 0,8 %, p = 0,006, tableau II). Il existait une tendance à une plus forte prévalence de cardiomyopathie dans le groupe S+ que dans le groupe S-, à la limite de la significativité statistique. La prévalence importante de la dyspnée (67,6 % des motifs) et de la toux (22,1 %),  dans le groupe S+ pourrait s’expliquer par ces causes. Ces résultats corroborent plusieurs données de la littérature, en particulier avant l’ère des traitements anti-rétroviraux [2-5] .

En Afrique Subsaharienne, les péricardites liquidiennes sont très fréquentes avec une prévalence hospitalière de 2,4 à 13,2 % [6].Elles apparaissent souvent isolées et sont pour la plupart inaugurales du SIDA, fréquemment abondantes. Elles sont  généralement associées à la tuberculose [7-10].En République Démocratique du Congo, 70% des cas de péricardites sont associés à une infection à VIH [11].

Les séries autopsiques [12, 13] révèlent une prévalence de 10 à 64% de péricardite chez les patients infectés par le VIH.

Il n’y aurait aucune corrélation entre le stade de l’infection à VIH et la survenue et l’importance de l’atteinte péricardique. Dans notre travail, nous n’avons pas pu classer de façon fiable le niveau de dépression immunitaire.  Un épanchement péricardique serait associé à une plus grande mortalité chez le patient VIH + [14].   La tuberculose est  retrouvée chez  plus de 90 % des patients ayant un épanchement péricardique en Afrique du Sud et au Malawi [15 - 17].

Dans notre série, l’étiologie tuberculeuse a é été retenue chez tous les patients ayant une péricardite ; ce qui explique que le traitement antituberculeux était significativement plus prescrit chez les patients du groupe S+ que chez ceux du groupe S-.

L’HTAP d’allure primitive (10,8 % de prévalence chez les S+ dans notre série) est également relativement fréquente en cas d’infection à VIH comparativement à la population générale (incidence de 1 / 200 comparativement à 1/200 000 [18])  et se retrouverait particulièrement chez les patients jeunes de sexe masculin. Il n’y a aucune relation entre sa survenue et le niveau de dépression immunitaire. Elle affecte environ 0,5 % des patients VIH + et est responsable au stade terminal  d’insuffisance cardiaque droite sévère avec cœur pulmonaire et d’un fort taux de décès [19].  Sa pathogénie est multifactorielle et encore incomplètement élucidée. Le VIH pourrait être responsable d’une atteinte directe de l’endothélium vasculaire pulmonaire et de vasoconstriction par l’intermédiaire de l’endothéline, 1’interleukine 6 et de tumor necrosis factor. Le virus a été identifié dans des macrophages alvéolaires qui produisent des enzymes protéolytiques et du tumor necrosis factor en réponse à l’infection [20].

La tendance à  une prévalence élevée des cardiomyopathies dans la population S+ a déjà été signalée dans la littérature. Dans notre série, la plus grande utilisation des digitaliques dans le groupe S+ par rapport au groupe S- (40,3 vs 23,2, p = 0,003) pourrait en être la conséquence. Les cardiomyopathies surviennent à un stade tardif de l’infection en contexte de réduction significative des lymphocytes CD4 [4, 5, 20]. Ces cardiomyopathies font généralement suite à un épisode de myocardite  [4, 5]. La pathogénie des lésions myocardiques au cours de l’infection à VIH associe l’infection directe des myocytes par le VIH avec ou sans co-infection à d’autres virus cardiotropes ou atteinte auto-immune faisant suite à une infection virale. La malnutrition et la cachexie y joueraient un rôle [4, 5]. Une équipe camerounaise rapporte une prévalence de 23,3 % de cardiomyopathies en contexte d’infection à VIH [21]. La prévalence de la dysfonction ventriculaire dans l’infection à VIH varie de 2% à plus de 40 %, l’insuffisance cardiaque symptomatique survenant chez 6 % d’entre eux, la plupart au stade de SIDA [22].

Le pronostic de ces atteintes myocardiques est mauvais, avec une médiane de survie de 101 jours après la découverte de l’insuffisance cardiaque, comparé à 472 jours de survie chez des patients ayant le même stade d’infection à VIH et ayant une échocardiographie normale [23]. 

Il faut relever la faible prévalence des valvulopathies et des endocardites infectieuses dans le groupe S+.

Les endocardites valvulaires au cours de l’infection à VIH sont exceptionnellement infectieuses. Elles sont décrites dans moins de 10% des cas en Occident ;  en Afrique elles seraient retrouvées chez 30 % des patients.  Les endocardites marastiques abactériennes sont les plus fréquentes [24] mais sont devenues rares avec les progrès thérapeutiques. 

Le risque d’endocardite infectieuse est plus marqué chez le sujet VIH positif toxicomane [24]. Dans ce contexte, l’endocardite du cœur droit est la plus fréquente [24].

L’évolution a été favorable chez 107 patients dans le groupe S+ (89,9 %) et chez 113 patients dans le groupe S- (90,4 %), p = 0,89, rendant compte d’un pronostic hospitalier superposable entre les 2 groupes. Cet apparent bon pronostic a peu de signification car il s’agit d’un pronostic hospitalier immédiat. Le pronostic des atteintes cardiaques et vasculaires de l’infection à VIH s’établit mieux sur le moyen et le long terme [7].

Le taux de perdus de vue à 1 mois était de 53,8 % dans le groupe S+ et de 67,2 % dans le groupe S- (p = 0,03). La signification de ce taux est difficile à apprécier. Il pourrait s’agir d’un surcroit de mortalité à un mois de la sortie dans le groupe S+, ou de  l’orientation vers les structures prenant en charge les personnes vivant avec le VIH.

 

CONCLUSION

L’infection à VIH, en dehors de tout traitement anti-rétroviral, est responsable de complications cardio-vasculaires. Celles-ci sont capables d’aggraver un pronostic déjà lourd. Ce travail souligne la fréquence particulière des péricardites, des hypertensions artérielles pulmonaires d’allure primitive et des cardiomyopathies et donc la nécessité de dépister l’infection à VIH dans ces pathologies.

Une attention particulière devrait donc être portée à ces patients non encore bénéficiaires d’une tri-thérapie anti-rétrovirale sans méconnaître le fait que ce traitement est lui aussi pourvoyeur de complications cardiaques et métaboliques.

 

 

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