Etude échographique de la thrombose et du contraste spontané intra-auriculaire chez les patients en fibrillation auriculaire . Echographic study of intraatrial thrombus and spontaneous contrast in patients with atrial fibrillation.
D.M. HOUÉNASSI1, Y. TCHABI1, J. SACCA-VÉHOUNKPÉ1, R. AKINDÈS DOSSOU-YOVO1,R.K. KOHOUN1, M. D’ALMEIDA MASSOUGBODJI1, H. AGBOTON1.
RESUME
L’objectif de cette étude est d’étudier la taille des oreillettes et la présence de thrombose ou de contraste spontané intra-auriculaire au cours de la fibrillation auriculaire.
Les auteurs ont réalisé une étude prospective qui a inclus tous les patients pris en charge pour fibrillation auriculaire au service de cardiologie du CNHU de Cotonou pendant une période de 29 mois. L’analyse comportait l’étude clinique, la réalisation d’une échocardiographie Doppler transthoracique (ETT) et transoesophagienne (ETO), l’étude des facteurs de risque cardio-vasculaire associés. Le seul critère d’exclusion était la non réalisation d’un ETT
Quarante trois patients ont été retenus dont 24 ont été soumis à l’ETO pour des raisons économiques. L’âge moyen des 43 patients retenus était de 63,7 ans ± 13,42. L’étiologie de la FA était une cardiopathie dans 83,7%. A l’ETT, l’oreillette gauche était dilatée dans 60,46% et l’oreillette droite dans 32,6%. Il n’y avait aucun marqueur de thrombose auriculaire. A l’ETO (24 patients) aucun marqueur de thrombose n’a été retrouvé dans l’oreillette droite. Dans l’oreillette gauche (OG), un contraste spontané a été retrouvé chez 66,66%. Un thrombus a été noté chez 29,16% et tous ces thrombi étaient associés à un contraste spontané. Quatre thrombi sur 7 étaient localisés dans l’auricule gauche qui était dilatée chez 79,2% des patients. Parmi les facteurs que sont l’âge, le sexe, la présence d’une cardiopathie sous jacente, l’existence de facteurs de risque cardio-vasculaire, la taille de l’oreillette et de l’auricule gauches, seule la dilatation de l’OG était corrélée à la présence de thrombose et de contraste spontané (p= 0,03).
Les auteurs concluent, au terme de cette étude échographique, que la thrombose auriculaire gauche est fréquente au cours de la fibrillation auriculaire et que sa présence est corrélée à l’existence d’une dilatation de l’oreillette gauche.
SUMMARY
The aim of this prospective study is to research the left atrium dilatation and the presence of thrombus or spontaneous contrast in the atrium in patients with atrial fibrillation.
All consecutive patients have been included during 29 months. Transthoracic (TTE) and transesophageal echocardiography (TEE) were planified to detect cardiopathy , left atrium dilatation and presence of thrombus or spontaneous contrast. Cardiovascular risk factors and clinical presentation were also studied.
Only 43 patients satisfied the study conditions and 24 transoesophageal echocardiographies have been performed because of poor social conditions. Mean age were 63.7 ± 13.42 years, heart disease was present in 83.7 %. TTE showed a left atrial dilatation in 60.46%and a right atrium dilatation in 32.6%. There was no thrombus or spontaneous contrast demonstrated by TTE. TEE (24 patients) showed no thrombosis or spontaneous contrast in right atrium. In left atrium, it showed spontaneous contrast in 66.66% and thrombus in 29.16%. Four (4) thrombi within the 7 detected were localized in the left atrial appendage which were dilated in 79.2%. Among age, sex, heart disease, cardiovascular risk factor, left atrium dilatation, only the latter is correlated with presence of spontaneous contrast or thrombus.
The authors conclude that atrial thrombosis are frequent in the atrium of patients with atrial fibrillation and that its presence is associated with left atrial dilatation.
INTRODUCTION
La fibrillation auriculaire (FA) est le trouble du rythme auriculaire le plus fréquent dans le monde. Elle est caractérisée par un risque embolique significatif [1,2]. Or, Bertrand et coll ont rapporté une tendance à l’hypocoagulabilité chez l’africain de race noire [3]. Cette hypocoagulabilité pourrait se traduire chez les patients noirs en FA par une moins grande fréquence de thrombose intra-auriculaire. C’est pour vérifier cette hypothèse que ce travail a été initié avec comme objectif l’étude échographique de la taille de l’oreillette gauche et de la présence de thrombose intra-auriculaire ou de contraste spontané.
MATERIEL ET METHODE
Nous avons réalisé une étude prospective descriptive à l’Unité de Soins d’Enseignement et de recherche en Cardiologie du Centre Hospitalier et Universitaire de Cotonou.
Nous avons inclus systématiquement tous les patients porteurs de FA pris en charge dans notre service entre le 1er janvier 2002 et le 31 mai 2004, soit une période de 29 mois. Le diagnostic de la FA a été fait sur un ECG de surface réalisé au repos. Une échocardiographie Doppler par voie transthoracique (ETT) et par voie transoesophagienne (ETO) ont été systématiquement prescrits de même que les examens nécessaires à la recherche des facteurs de risque cardio-vasculaire et de l’étiologie de la FA. La non réalisation de l’ETT était le seul critère d’exclusion.
Nous avons recueilli les données suivantes : les caractères démographiques, l’existence d’un antécédent de FA, le syndrome clinique révélateur, l’étiologie de la FA, le traitement antithrombotique en cours, les facteurs de risque cardio-vasculaires associés, la taille des oreillettes, la taille et la cinétique de l’auricule gauche, la présence d’un contraste spontané ou de thrombose auriculaire. L’oreillette gauche (OG) a été considérée comme dilatée si son diamètre transversal mesuré en mode TM sur une coupe parasternale grand axe était supérieure à 40 mm ; comme l’oreillette droite (OD), elle a également été considérée comme dilatée si sa surface mesurée en mode 2D sur une coupe apicale 4 cavités était supérieure à 20 cm2. A l’ETO, l’auricule gauche a été considérée comme dilatée si sa surface était supérieure à 6 cm2. Une vitesse inférieure à 25 cm/s au Doppler dans l’auricule a été considérée comme un signe de baisse de la cinétique. Les échographies ont été réalisées sur un échographe Hewlett Packard Sonos 1000 ; l’ETO a été réalisée avec une sonde biplan.
Les données ont été consignées sur un questionnaire informatisé et traitées dans le logiciel SPSS. Le test de X2 de PEARSON a été utilisé pour la comparaison des proportions mais lorsque l’effectif des sous groupes ne dépassait pas 5 le test exact de Ficher a été préféré.
RESULTATS
Au total 65 patients ont présenté une FA dans la période. Quarante trois (43) ont été retenus et l’ETO n’a été réalisée que chez 24 d’entre eux. Ces patients étaient tous en FA persistante. L’âge moyen des 43 patients était de 63,72 ans ± 13,42 avec des extrêmes de 34 et 97 ans. Le sex-ratio était de 1,26 en faveur des hommes. Les circonstances de découverte de la FA sont présentées par le tableau 1. Onze patients soit 25,6 % avaient un antécédent de FA. Parmi eux, 6 étaient sous acide acétylsalycilique et 3 sous acénocoumarol. Les étiologies de la FA sont présentées par le tableau 2. Les facteurs de risque cardio-vasculaire retrouvés étaient, en dehors de l’HTA déjà répertoriée dans les étiologies : l’hyperlipidémie (11 cas), le surpoids et l’obésité (10 cas), le diabète (6 cas) et le tabagisme (4 cas).
Caractéristiques des oreillettes à l’ETT
L’oreillette gauche
Chez les 43 patients, le diamètre moyen de l’OG était de 44,88 ± 7, 69 mm avec des extrêmes de 26 et 57,1 mm. L’OG était dilatée chez 26 patients soit 60,46 %. Elle ne contenait ni contraste spontané, ni thrombus.
L’oreillette droite
Elle était dilatée chez 14 patients soit 32,6 %. Sa surface moyenne était de 25,71cm2 avec des extrêmes de 15 et 35,60 cm2. Elle ne contenait ni contraste spontané, ni thrombus.
Caractéristiques des oreillettes à l’ETO (24 patients)
L’auricule gauche
Elle était dilatée chez 19 des 24 patients (79,2%) chez qui l’ETO a été réalisée. La taille moyenne de l’auricule gauche était de 06,63 ± 0,99 avec des extrêmes de 5 et 8,2 cm2. Sa cinétique était diminuée chez 18 patients soit 75%.
La thrombose et le contraste spontané
Ils étaient absents dans l’OD. Dans l’OG, un contraste spontané a été observé chez 16 patients soit 66,66 % ; un thrombus a été observé chez 07 patients soit 29,16 %. Tous les thrombi étaient associés à un contraste spontané ; leur taille moyenne était de 1,81cm2 ± 1,43 cm2 avec des extrêmes de 0,5 et 3,39 cm2. La localisation de la thrombose et du contraste spontané est précisée dans le tableau 3.
Corrélations entre les facteurs cliniques et la présence de thrombose
Le tableau 4 présente la relation entre les facteurs cliniques étudiés et la présence de marqueurs de thrombose.
Discussion
La petite taille de cette série illustre les difficultés d’exploration qui sont courantes dans notre milieu et sont liées au faible niveau de vie des populations. Malgré ce handicap, cette série reflète la réalité de la FA. En effet, l’existence d’une cardiopathie sous jacente dans plus de ¾ des cas est une caractéristique de la FA aussi bien en Europe [4] qu’en Afrique [5,6]. La révélation fréquente par une insuffisance cardiaque ou une embolie cérébrale, la prédominance dans les étiologies de l’HTA, de la myocardiopathie dilatée et des valvulopathies avaient été déjà rapportées par une précédente étude de notre service [7]. L’existence, chez 66,66 % des patients ayant bénéficié de l’ETO, d’une thrombose ou d’un contraste spontané intra-auriculaire témoigne de l’important risque d’embolie auxquels sont exposés les patients atteints de FA dans notre milieu. Ce constat est concordant avec les résultats d’une étude de notre service qui avait rapporté que l’embolie cérébrale était la seconde cause d’hospitalisation chez les porteurs de FA [8]. Avec 29,16% de thrombose auriculaire et 66,66 % de contraste spontané auriculaire, notre série présente une plus grande fréquence de thrombose que celle de Tribouillouy [9] qui a rapporté 14, 6 % de thrombose et 32% de contraste spontané. Cette découverte incite à la prudence quant à l’extrapolation des résultats de l’étude de Bertrand et coll [3] qui ont rapporté en Côte d’ivoire une réduction de l’agrégabilité plaquettaire et une majoration de la fibrinolyse chez 50 ivoiriens comparativement à 50 européens vivant dans le même environnement depuis au moins 10 ans. L’hypocoagulabilité ainsi rapportée est ici relativisée.
Cette étude n’a retrouvé aucun lien entre la présence d’une cardiopathie sous jacente, l’existence de facteur de risque cardio-vasculaire associé et la présence de thrombose. Sa petite taille incite à la prudence dans cette affirmation qui pourrait faire croire à une particularité de la FA dans notre milieu. Il a été rapporté, en effet, que le risque de thrombose de la FA est bien corrélée à l’existence de facteurs de risque cardio-vasculaire en particulier le diabète ainsi qu’à la présence et la nature d’une cardiopathie sous jacente. Le risque est en effet multiplié par 17 en cas de valvulopathie rhumatismale [1]. Par contre la corrélation positive entre la dilatation de l’oreillette et l’auricule gauche que nous rapportons est tout à fait classique.
La découverte exclusive de thrombose et de contraste spontané à l’ETO et la présence de 4 thrombi sur 7 dans l’auricule nous rappelle la nécessité de développer cette technique. En son absence, les marqueurs échographiques habituels de thrombose auriculaire sont peu identifiables. La thrombose qui s’est manifestée par un accident vasculaire cérébral chez 23 à 27 % de nos 2 séries pose le problème de la prévention de la thrombose auriculaire liée à la FA. Celle-ci a été bien étudiée par les études AFASAK [10] et EAST [11] et bien codifiée par les recommandations [12]. Le traitement anticoagulant est la base de la pratique et nous ne devrions pas avoir de crainte particulière quant au risque hémorragique car comme l’ont rapporté Adoubi et coll [13], ce risque ne parait pas plus élevé en Afrique qu’ailleurs et les facteurs prédictifs de cette complication ne semblent pas non plus particuliers.
CONCLUSION
La thrombose et le contraste spontané intra-auriculaire gauche sont fréquents à l’échocardiographie chez le patient de race noire en fibrillation auriculaire. Leur présence est corrélée à la dilatation de l’oreillette gauche. Leur recherche, en particulier par l’échographie trans-œsophagienne, devrait permettre une meilleure prévention des accidents emboliques.