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L’hypertension artérielle en Afrique sub-saharienne: Déterminants intrinsèques, comportementaux, et socio-économiques.

ANTCHOUEY Anne-Marie, MD, MSc[1], GOULET Lise, MD, PhD[2], HAMET Pavel, MD, PhD[3]

 

Résumé

L’hypertension artérielle (HTA) est une pathologie complexe qui résulte de l’interaction entre les gènes et l’environnement. L’environnement influe sur les caractéristiques personnelles des individus et leurs comportements. Il explicite, en partie, l’étiopathogénie de l’HTA et peut-être sa croissance exponentielle au sein de la population africaine.

Cet article a pour objectif de mettre en relief certains déterminants intrinsèques, comportementaux et socio-économiques de l’HTA dans le contexte épidémiologique de l’Afrique sub-saharienne (ASS) du 21ième siècle.

Les déterminants intrinsèques correspondent aux caractéristiques propres de l’individu que sont l’âge, le poids de naissance, le genre, le groupe géo-ethnique, les variables anthropométriques et la pratique d’activité physique.  L’âge et, plus encore le parcours de vie depuis la naissance, sont associés au développement de l’HTA : le faible poids de naissance est un facteur de risque de l’HTA. Le genre reflète les inégalités (physiques, sociales, économiques etc.) liées aux composantes – anatomiques, physiologiques et génétiques – du sexe. Ces inégalités produisent des états de santé différentiels: en ASS les femmes semblent souffrir autant sinon plus d’HTA que les hommes. Le groupe géo-ethnique génère des expositions et vulnérabilités spécifiques d’où l’intérêt d’affiner leur étude dans l’HTA. Les variables anthropométriques ont une relation positive avec l’HTA tandis que l’activité physique lui est inversement reliée.

Les déterminants comportementaux sont essentiellement le tabagisme, l’alcoolisme, la diète et les conditions de sommeil. Associés à l’environnement – social, culturel, économique, nutritionnel – des individus, ils reflètent un gradient social et influent de manière directe sur la PA. 

Plus que la pauvreté absolue, les inégalités socio-économiques reflétées par le statut socio-économique (SSE) sont délétères pour la santé et influent sur la pression artérielle.

Tous ces déterminants doivent être intégrés au processus diagnostique et thérapeutique (préventif et curatif) de l’HTA et surtout, ils doivent se refléter dans les programmes et interventions de santé publique qui visent au contrôle de cette pathologie en ASS.

 

Mots-clé : Hypertension artérielle – Déterminants intrinsèques – Déterminants comportementaux – Statut socio-économique – Afrique sub-saharienne .


 

 

Summary

 

 

High blood pressure (HBP) is a complex disease which results from interaction between genes and environment. Environment influences personal characteristics and behaviours. It partially clarifies the pathogenesis of HBP and perhaps its exponential growth within the African population. This article aims to highlight some intrinsic, behavioural and socio-economic determinants of HBP in the 21 st century epidemiologic context of sub-Saharan Africa (SSA).

 Intrinsic determinants are individual specific characteristics like age, birth weight, social sex, geo-ethnic group, anthropometric variables and physical activity. Age and more specifically course of life since birth, is associated with the development of HBP: low birth weight is a risk factor for HBP. Gender reflects inequalities (physical, social, economic etc.) bound to anatomical, physiological and genetic components of sex. Those inequalities produce differential health status. Thus, in SSA, women seem to suffer more HBP than men do or at the same level. Geo-ethnic group generates specific exposures and vulnerabilities; therefore it should be interesting to refine it in HBP studies. Anthropometric variables have a positive relation with HBP while physical activity is conversely connected to it.

Behavioural determinants are primarily smoking, alcoholism, diet consumption and sleeping conditions. They reflect a social gradient and directly act on blood pressure.

More than absolute poverty, socio-economic inequalities reflected by the socio-economic status are noxious for health and arterial pressure.

All these determinants must be integrated into diagnostic and therapeutic (preventive and curative) processes of HBP and especially, they must be integrated in public health programs and interventions that aim at controlling HBP in SSA.

 

Key words:  High blood pressure - Intrinsic determinants - Behavioural determinants - Socio-economic status - Sub-Saharan Africa.


 

I -  Introduction

       L’impact de l’environnement est majeur dans la genèse de l’hypertension artérielle (HTA)[1] que ce soit directement ou par interaction avec  le génome humain[i]. Environ 50% de la variance de la pression artérielle dans la population est d'origine génétique et 50% d'origine environnementale[ii]. En Afrique sub-saharienne (ASS), cet environnement plus ou moins détérioré est partie prenante de la transition sanitaire. En influant sur les caractéristiques intrinsèques des individus et leurs comportements, il explicite, en partie, l’étiopathogénie de l’HTA[iii] et peut-être sa croissance exponentielle au sein de la population. Ainsi, la surconsommation de sel[iv], de graisses et d’alcool, les standards de beauté chez les femmes et de réussite sociale chez les hommes qui légitiment voire encouragent l’obésité, la sédentarité, la faible pratique de l’activité physique et l’isolement social entretenus par une urbanisation mal consommée, la précarité financière des populations et l’insuffisance des ressources, particulièrement celles en santé, liées au sous-développement sont autant de facteurs qui favorisent l’HTA chez l’adulte. 

Cet article met en relief les composantes de l’HTA dans le contexte épidémiologique de l’ASS du 21ième siècle. Il traite des déterminants intrinsèques, comportementaux et socio-économiques de l’HTA.

 

 

II -           Déterminants intrinsèques de l’HTA

Les composantes personnelles agissant sur la pression artérielle (PA) incluent, entre autres, l’âge, le poids de naissance, le genre, le groupe géo-ethnique, les variables anthropométriques (poids, taille, tour de taille) et la pratique d’activité physique.

a)      L’âge

La fréquence de l’HTA croît avec le vieillissement – physiologique –  des individus du fait, entre autres, de la rigidité accrue des parois vasculaires qui l’accompagne[v]. Une étude réalisée à partir des données de la Framingham Heart Study[vi] sur 5296 patients (2317 hommes et 2979 femmes), dont le critère principal d'évaluation était la prévalence de l'hypertension, son traitement et sa maîtrise dans différents groupes d'âge le confirme bien. Entre 1990 et 1999, 49,3 % des 14 458 consultations, concernaient des patients hypertendus. Parmi les moins de 60 ans, la prévalence de l’HTA était de 27,3 %, chez ceux qui avaient entre 60 et 79 ans elle était de  63 % et, chez les plus de 80 ans, elle était de 74 %. En ASS, une étude réalisée en 2004 au Burkina-Faso[vii] sur 2087 sujets adultes révélait une prévalence qui variait entre 24 et 35% selon le lieu d’habitation (zone urbaine ou sub-urbaine) chez les 34-45 ans, autour de 42% chez les 45-54 ans et autour de 58,5% chez les plus de 55 ans. Au-delà de 45 ans, le lieu de résidence n’influait plus sur cette prévalence. 

Cependant plus que l’âge, variable ponctuelle, le parcours de vie, processus dynamique et interactif, apparaît aujourd’hui comme une variable déterminante à l’âge adulte, tant les différents évènements qui le ponctuent influent dans la survenue de l’HTA à l’âge adulte [viii], [ix],[x]

b)     Le poids de naissance

Depuis les travaux de Barker[xi] en 1989, plusieurs études ont démontré la relation inversement proportionnelle entre le poids de naissance et la survenue d’HTA à l’âge adulte[xii],[xiii]. Même si le mécanisme par lequel le faible poids de naissance agit sur la PA n’est pas formellement élucidé, ce dernier est clairement établi comme un facteur de risque de l’HTA[xiv]. La raison de ce faible poids de naissance est imputable à de nombreux facteurs tels le jeune âge de la  mère[xv], [xvi], ses  mauvaises conditions nutritionnelles avant et pendant la grossesse[xvii], [xviii], son statut social et économique pendant la grossesse[xix],[xx], l’environnement infectieux dans lequel elle vit[xxi], ses antécédents d’HTA gravidique[xxii]  ou parfois à des influences intergénérationnelles[xxiii] qui perpétuent ces insuffisances de générations en générations. Pour toutes ces raisons, les naissances de bébés de faible poids concernent principalement les pays en développement[xxiv]et l’ASS en particulier[xxv]. De fait, le poids de naissance doit être intégré, autant que faire se peut, à tout processus diagnostic et préventif de l’HTA en ASS.

 

c)      Le genre ou sexe social

Le genre est une construction sociologique qui va au-delà du sexe génétique. Il reflète les diverses inégalités – physiques, sociales, économiques etc. – liées aux différentes composantes du sexe. Le genre intègre les caractéristiques permanentes de l’individu (anatomiques, biologiques, physiologiques) qui découlent du sexe génétique et ses caractéristiques variables telles les potentialités, les opportunités sociales, les comportements et mœurs déterminées par le sexe anatomique. Cette réalité est difficile à capturer; c’est pourquoi le mot générique ‘sexe’ est souvent utilisé pour désigner l’entité sociale qui réfère aux porteurs de chromosomes XX ou XY. 

Chez les adolescents et les jeunes adultes, les études semblent orienter vers une prévalence de l’HTA plus élevée chez les hommes[xxvi], [xxvii] que chez les femmes mais certaines séries africaines et caribéennesne vont pas dans ce sens. En ASS, les femmes seraient autant hypertendues que les hommes[xxviii],[xxix] voire plus. Ainsi, Niakara et coll.7 au Burkina-Faso trouvent un risque relatif de 1,38 (1,11–1,71) chez les femmes par rapport aux hommes, et Mendez et coll.[xxx] rapportent en Jamaïque une prévalence de 28,8% chez les femmes versus 19,9% chez les hommes et ce, après ajustement pour l’âge.

 Chez les sujets âgés, la prévalence de l’HTA, notamment de l’hypertension artérielle systolique isolée est plus élevée chez les femmes ménopausées34,[xxxi] que chez les hommes du même âge du fait, en partie, des modifications hormonales liées à l’âge[xxxii], et du biais de survivance qui peut exister chez les hommes (la mortalité des hommes est plus importante que celle des femmes à tous les âges; ceux qui survivent sont les plus résistants).

Il apparaît donc essentiel d’identifier les caractéristiques inhérentes aux hommes et aux femmes hypertendues pour élaborer des programmes et interventions efficaces et efficientes au sein de la population en ASS.

d)     Le groupe géo-ethnique

Le groupe géo-ethnique désigne tout groupe d’individus qui vit dans le même environnement géographique d’origine et partage certaines caractéristiques physiques, biologiques et génétiques[xxxiii]. Ainsi plusieurs groupes géo-ethniques peuvent être distingués (les Africains,  les Caucasiens, les Asiatiques etc.) à l’intérieur desquels des sous-groupes peuvent être identifiés (Afro-africains, Afro-américains, Afro-caribéens, Caucasiens d’Europe, Caucasiens d’Amérique etc.).

Les membres de ces différents groupes présentent des potentialités et des capacités différentes. Les potentialités des individus sont reflétées par leurs capabilités (capital humain, social et économique) tandis que leurs capacités sont la résultante de leurs caractéristiques personnelles et des opportunités sociales et économiques  qui s’offrent à eux. Selon Sen A[xxxiv],  les capabilités[2] de chaque individu sont le produit de ses potentialités et de ses capacités. Ces capabilités génèrent des expositions et des vulnérabilités différentielles qui vont se traduire par des états de santé différentiels[xxxv] particulièrement dans les pays en voie de développement.

Le groupe géo-ethnique représenté par les Africains est reconnu pour avoir des grades d’HTA plus élevés[xxxvi],[xxxvii], des complications plus sévères et plus précoces. C’est le fait de certaines spécificités biologiques3 (une sensibilité accrue à la charge sodée et un défaut d’excrétion urinaire du sel[xxxviii], des activités rénine plasmatique[xxxix] et  kallicréine-kinine[xl] basses et des taux d’endothéline plasmatique plus élevés[xli]) mais aussi de modes de vie particuliers, étroitement liés à leurs capabilités[xlii] et à leur environnement. Il serait intéressant de faire des analyses plus fines des facteurs environnementaux qui peuvent différencier les sous-populations appartenant à un même groupe géo-ethnique.

 

e)      Les variables anthropométriques

Elles permettent de documenter la composition et les dimensions corporelles[xliii]. Elles reflètent l’état nutritionnel, la masse grasse, la pratique d’activité physique et, témoignent de l’état de santé d’un individu. Elles ont une relation linéaire positive avec la PA et ce, sur tous les continents.  Les principales mesures utilisées pour les documenter sont l’indice de masse corporelle, le tour de taille et le tour de hanche.

-          L’indice de masse corporelle : c’est le rapport du poids sur la taille au carré avec le poids en kg et la taille en mètre qui n’est cependant qu’une approximation imparfaite du pourcentage de masse grasse de l'organisme.

-          Le tour de taille et le tour de hanche: la surcharge adipeuse chez l'homme se localise préférentiellement au niveau abdominal et chez la femme au niveau des hanches. L'indice de masse corporelle reflète mal ces différences en particulier pour l'estimation du surpoids chez les hommes; c’est pourquoi il tend à être remplacé par le ratio taille/hanche ou par la mesure du tour de taille [xliv].

Un sujet obèse africain a 3 fois plus de chance d’être hypertendu qu’un non obèse (OR= 3,10 IC 95%= 2,11-4,55)[xlv]. Il y a donc urgence à redéfinir les standards de beauté et de réussite sociale en ASS et surtout à insister sur le régime alimentaire dans la prise en charge des hypertendus en ASS.

 

f)       L’activité physique 

L’activité physique est la somme des situations où les muscles squelettiques sont en action et génèrent une augmentation de la dépense énergétique par rapport aux conditions de repos et ce, pendant un temps donné[xlvi]. Ses situations sont occasionnées par les activités de la vie courante, de la vie sociale et professionnelle et, lors des loisirs. La sédentarité et l’activité physique sont des comportements contrairement à l’aptitude physique qui est une capacité (celle à réaliser une activité physique donnée). Dans la cohorte de la CARDIA Study[xlvii], l’activité physique avait un effet protecteur pour l’HTA et les hommes qui faisaient de l’exercice physique avaient une incidence d’HTA de 17% moindre que ceux qui ne pratiquaient pas de sport (RR: 0,83). De même, dans l’étude de Niakara et coll.7 , malgré une définition très sommaire de l’activité physique documentée par une unique question à l’interrogatoire (marche ou vélo pendant 30 mn tous les jours), les sujets actifs avaient une prévalence d’HTA plus faible que ceux qui l’étaient moins (prévalence de 31,2% versus 48,4% en zone urbaine et de 42% versus 56,9% en zone sub-urbaine).  

III -       Déterminants  comportementaux  de  l’HTA

Ce sont essentiellement le  tabagisme, l’alcoolisme, le régime alimentaire, et les conditions de sommeil. Souvent associés à un gradient social [xlviii], ces composantes produisent des inégalités en santé.

a)      L’alcool 

Il y a une association positive entre la consommation d’alcool et l’HTA[xlix]  mais le mécanisme de cette relation n’est pas clairement défini. Chez des hypertendus comme chez des normotendus, la réduction ou l’arrêt de la consommation d’alcool est associé à une réduction de la PA[l]. En ASS, la consommation d’alcool local est souvent sous-estimée voire occultée. Cette consommation doit être recherchée chez les hypertendus africains afin d’en mesurer l’ampleur réelle et l’impact sur la pression artérielle.

b)     Le tabac

Les fumeurs de cigarettes ont une  pression artérielle plus élevée que les non fumeurs. Leur pression artérielle est d’autant plus élevée qu’ils  appartiennent à des familles d’hypertendus[li],[lii].  L’impact des autres formes de tabagisme (tabac à mâcher, tabagisme passif, pipe) sur l’HTA est très peu évaluée alors qu’elles sont présentes en ASS. Par ailleurs, l’industrie du tabac y est florissante et ce, malgré la ratification par de nombreux états africains de la Convention cadre de l’OMS[liii] pour la lutte antitabac et la mobilisation de certaines organisations non gouvernementales, nationales et internationales. Selon l’OMS, l’industrie du tabac prévoit une augmentation de 16,1% de la consommation de ses produits en Afrique (exception faite de l’Afrique du sud qui connaîtra une réduction de 17,3%) pour compenser sa réduction de 8% en Europe occidentale en 2008[liv]. Les politiques, la réglementation et les interventions pour lutter contre le tabagisme sont encore trop timides sur le continent. L’information et la sensibilisation des populations par la communauté scientifique doivent soutenir et compléter l’action des décideurs.

c)  Le régime alimentaire

Plusieurs nutriments sont impliqués dans la genèse de l’HTA 55,56. Les protéines d’origine végétale réduiraient la PA de même que les acides gras Oméga-3 [lv]. Certains types de régimes alimentaires seraient aussi bénéfiques pour la PA tels le régime méditerranéen[lvi], composé essentiellement d’aliments d’origine végétale et d’acides gras mono insaturés et le régime DASH (acronyme de Dietary Approaches to Stop Hypertension) riche en fruits, légumes et produits laitiers peu gras, particulièrement efficace dans le sous-goupe des Africains[lvii]. Concernant le régime végétarien, Berkow et al[lviii] rapportent chez les végétariens des PAS plus basses de 3 à 14 mmHg et des PAD plus basses de 5 à 6 mmHg.

Le rôle et l’importance du sel fourni par l’alimentation dans la régulation de la pression artérielle sont sujets à controverse[lix]. L'étude INTERSALT[lx] qui a analysé les données de 10 074 hommes et femmes provenant de 52 échantillons de populations répartis sur 32 pays a révélé des associations positives et significatives entre l'excrétion de sodium urinaire et la pression artérielle des sujets observés, et entre l'excrétion de sodium urinaire, la PA et l’âge. Dans cette étude, au niveau individuel, une différence de 6 g de NaCl dans l’apport journalier était associée à une différence de 3 à 6 mmHg de la pression systolique tandis qu’au niveau populationnel, une différence de 6 g de NaCl dans l’apport journalier était corrélée à une différence de 10 mmHg de la pression systolique entre 25 et 55 ans. Plusieurs écueils méthodologiques ont cependant été relevés dans cette étude dont la méthode de dosage des apports sodés et l’analyse post-hoc réalisée pour établir le lien entre apports sodés et HTA. Cependant,  Swift et al.[lxi] ont démontré l’effet bénéfique de la réduction des apports sodés sur la pression artérielle de sujets adultes hypertendus noirs. Cet effet s’est confirmé en association avec le régime DASH[lxii] dont l’efficacité souligne l’importance d’ajuster l’apport sodé aux autres composantes nutritionnelles notamment au calcium[lxiii].

Les habitudes alimentaires ont beaucoup évolué en ASS et ce, surtout dans les villes. En plus des problèmes d’approvisionnement en eau potable, les denrées alimentaires locales sont souvent plus onéreuses sur le marché que certains produits importés dont la valeur nutritionnelle est discutable. Par ailleurs, les difficultés liées au transport urbain sont telles dans les villes africaines, que nombre de citadins prennent leurs repas hors de leur domicile. Ils ont recours à la restauration rapide pour assurer une partie ou la totalité (cas extrêmes) de leur repas. Enfin, les femmes qui traditionnellement avaient la charge de la restauration familiale, travaillent de plus en plus à l’extérieur du domicile familial. De fait, elles deviennent moins disponibles pour les tâches domestiques, notamment pour les plantations et la cuisine. Elles délèguent ces tâches, quand elles en ont a possibilité, à des aides ou alors, elles s’organisent en fonction du temps et des ressources disponibles. Dans de telles conditions de précarité alimentaire, surveiller la valeur nutritionnelle des repas et imposer une quelconque diète sont une vraie gageure. Il ne faut pas pour autant renoncer à l’encadrement nutritionnel des populations africaines; il faut mettre à contribution les nutritionnistes et diététiciens dont les compétences sont souvent mal connues et peu utilisées sur le continent.

d)     Les conditions de sommeil

La durée autant que la qualité du sommeil nocturne influent sur la PA[lxiv]. Ainsi, les individus qui dorment moins de 5 heures par nuit, sont deux fois plus à risque de développer une HTA que ceux qui dorment plus[lxv]. De même, ceux qui ronflent sont 2,6 fois plus à risque que ceux qui ne ronflent pas[lxvi]. Les ronfleurs de poids normal sont d’autant plus à risque qu’ils sont plus jeunes (OR 40-49 = 2,77 IC (95%) : 1,85-4,14  ans ; OR 50-59 ans = 1,7 IC(95%) : 1,15-2.51) ou sont des femmes (OR femmes ronfleuses = 2,25 IC(95%) : 1,58-3,19 ; OR hommes ronfleurs = 1,49 IC(95%) : 1,10-2,03)[lxvii]. Enfin, l’apnée du sommeil est un facteur de risque pour l’HTA[lxviii] et les masques de pression positive utilisées pour soigner l’apnée du sommeil baissent significativement la PA des patients hypertendus [lxix].

Chez certaines populations africaines où le ronflement est associé à la puissance physique voire à la virilité, l’information et la sensibilisation – des populations autant que du personnel soignant – sont plus que jamais nécessaires pour corriger ces idées préconçues. De plus, il est important de faire un  dépistage systématique et, lorsque cela est possible, faire de la prévention par l’usage des masques de pression positive. Par ailleurs les nuisances sonores sont nombreuses dans les villes africaines surpeuplées et mal urbanisées d’où les perturbations fréquentes du sommeil en milieu urbain. Il serait bon d’évaluer l’impact de la pollution sonore sur la santé des populations pour mettre en place des mesures et une législation qui protègent  les populations de ces nuisances.    

 

 

IV -       Déterminant socio-économique de l’HTA : le statut socio-économique (SSE)

a)      Définition du concept et caractéristiques

Bien que souvent associé au pouvoir d’achat, le concept de statut socio-économique réfère au gradient socio-économique qui produit les inégalités sociales. Il intègre de nombreuses dimensions dont la classe sociale, le statut social, et les conditions matérielles. La classe sociale, vecteur de hiérarchie dans la société, s’acquiert de naissance ou par l’emploi. Le statut social est lié le plus souvent aux conditions matérielles. Les conditions matérielles déterminent les styles et habitudes de vie, l’accès aux ressources (notamment celles en santé) et la capacité d’acquérir des biens (médicaments par exemple) et de disposer de services (consultations médicales, hospitalisations etc). Le SSE est donc le reflet de la position d’un individu à l’intérieur d’une structure sociale (celle dans laquelle vit l’individu, qui conditionne sa sécurité et son autonomie).

Plus que la pauvreté, ce sont les inégalités socio-économiques qui sont le plus délétères pour la santé[lxx]. Ainsi le rapport Black[lxxi] paru en 1982 a été le premier à remettre en cause l’hypothèse de la pauvreté absolue comme déterminant de la santé. Cela s’est confirmé par le suivi de la cohorte de Whitehall[lxxii]  composée exclusivement de fonctionnaires. Celui-ci a démontré un gradient social de santé, y compris au niveau des échelons supérieurs où la probabilité de mourir ou d’être atteint d’une maladie à un âge donné diminuait avec l’élévation du grade. Enfin, à plus grande échelle, à niveau de prospérité égal, la santé est meilleure dans les pays où la distribution des richesses est la plus équitable. Par exemple en 2004, malgré un revenu moyen par habitant sensiblement égal entre le Venezuela et la Chine  (PIB de 6440 pour le Venezuela et 6 600 pour la Chine) et des dépenses en santé équivalentes, autour de 4,5% de leur PIB dans ces mêmes pays (respectivement 285 et 277 $/h), du fait de l’inégale répartition des richesses au sein de la population, l’espérance de vie au Venezuela était de 72 /78 ans (H/F) contre 71 /74 ans (H/F) en Chine. A cette même époque, la mortalité infantile était de 21 pour mille au Venezuela et 27 pour mille en Chine.

b)     HTA et statut socio-économique (SSE)

Dans les pays développés, ce sont les individus qui vivent dans les conditions socio-économiques les plus difficiles qui sont les plus à risque de développer de l’HTA[lxxiii]. Dans les pays en développement, l’HTA qui touchait principalement les classes aisées de la société, celles qui adoptaient un mode de vie à l’occidental au siècle dernier, se retrouve désormais dans toutes les couches de la société et surtout au niveau des catégories sociales extrêmes (les plus pauvres et les plus riches)[lxxiv]. Dans une étude réalisée en Jamaïque48,  ce sont les couches sociales extrêmes de la population qui avaient des prévalences d’HTA plus élevées ; cependant après ajustement, les femmes suivaient une courbe en J avec une prévalence élevée de l’HTA et une pression artérielle diastolique plus haute chez les femmes appartenant aux classes sociales élevées. Dans cette même étude, l’association – classique – de l’HTA et de la scolarité était inexistante chez les femmes. Elle ne devenait apparente que chez les hommes hautement scolarisés. Enfin, un courant épidémiologique de plus en plus suivi défend l’hypothèse des répercussions néfastes sur la santé à l’âge adulte et sur la pression artérielle en particulier des mauvaises conditions socio-économiques durant l’enfance[lxxv].  

En ASS, l’essoufflement des économies résultant des règles – biaisées – de l’économie de marché, des mesures contraignantes des programmes d’ajustement structurel et des nombreux problèmes de gouvernance, a entraîné dans son sillage l’avènement d’ordre social nouveau et surtout la paupérisation des classes moyennes. Ces bouleversements économiques et sociaux ont creusé l’écart entre les différentes strates de la société. C’est pourquoi le statut socio-économique qui est un des déterminants sociaux majeurs de la santé doit être pris en compte chez les hypertendus africains; il doit surtout rester présent dans l’esprit des décideurs de Santé publique.   

 

 

V -          Conclusion

Cet article avait pour objectif de mettre en relief certains déterminants intrinsèques, comportementaux et socio-économiques de l’HTA dans le contexte épidémiologique de l’ASS du 21ième siècle. Parmi ces déterminants, l’âge, les variables anthropométriques, et l’activité physique sont classiques et régulièrement enregistrés. Une attention particulière doit être portée à la consommation d’alcool local et de tabac autre que les cigarettes. Le faible poids de naissance qui a des répercussions pendant tout le parcours de vie et prédispose à l’âge adulte à de nombreuses pathologies chroniques et à l’HTA en particulier, mérite d’être documenté de manière plus systématique en pratique clinique et intégré au processus diagnostique et surtout préventif de l’HTA. Le genre ou sexe social ne devrait plus être réduit à la variable générique ‘sexe’ car il intègre les caractéristiques permanentes de l’individu (anatomiques, physiologiques qui découlent du sexe génétique) et les caractéristiques variables (potentialités, opportunités sociales, comportements et mœurs) qui en résultent. En ASS, il apparaît que les femmes souffrent autant sinon plus d’HTA que les hommes. Cette tendance doit inciter les chercheurs à apporter une attention particulière au genre dans les études sur l’HTA en ASS, de manière à ne pas occulter un déterminisme biologique, génétique ou sociétal spécifique. Le groupe géo-ethnique détermine des expositions et une vulnérabilité différentielles qui vont se traduire par des états de santé différentiels particulièrement dans les pays en développement. Il serait intéressant de faire des analyses plus fines des facteurs environnementaux qui peuvent différencier les sous-populations appartenant à un même groupe géo-ethnique.  Enfin, le statut socio-économique reste une variable encore trop peu prise en compte en santé et particulièrement dans l’HTA en ASS. La définition du concept peut recouvrir de nombreuses acceptions selon les auteurs; en outre, sa mise en oeuvre en recherche se fait de multiples façons, ce qui peut nuire à la validité interne des études et rendre difficile leurs comparaisons.

 Les déterminants intrinsèques, comportementaux, et socio-économiques sont partie prenante du déterminisme de l’HTA. Ils doivent non seulement être intégrés à son processus diagnostique et thérapeutique (préventif et curatif) mais surtout, ils doivent se refléter dans les programmes et interventions de santé publique qui visent au contrôle de cette pathologie en ASS. 

 

Remerciements

Ce  travail a été possible grâce à une subvention de recherche des Instituts de Recherche en Santé du Canada (Consortium Cardiogene MT-11463 et MT-14654) et du Laboratoire Servier Amérique. Nous les en remercions.

 


 



[1] Dans le texte,  le mot HTA désigne l’hypertension artérielle essentielle.

[2] Capabilités  = potentialités [capital humain, social, économique] X capacités [caractéristiques personnelles + opportunités sociales.



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[ii] Hamet P, Merlo O, Seda O et al. Quantitative founder-effect analysis of French Canadian families identifies specific loci contributing to metabolic phenotypes of hypertension. Am J Hum Genet 2005 ; 76 : 815-32.

 

[iii] Opie LH, Seedat YK. Hypertension in sub-Saharan African populations. Circulation 2005 ; 112 : 3562-8. 

 

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[1] : Cardiologue, Maître-assistant professeur, Faculté de Médecine, Université des Sciences de la Santé, Libreville – Gabon.

[2] : Professeur titulaire, Département Médecine sociale et préventive, Faculté de Médecine, Université de Montréal– Canada

[3] : Professeur titulaire, Faculté de Médecine, Université de Montréal. Chaire de recherche du Canada en Génomique prédictive. Chef du service de médecine génique. Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Montréal – Canada