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EDITORIAL

UNE COMMUNAUTE CARDIOLOGIQUE FRANCOPHONE EN AFRIQUE

Jean-Jacques MONSUEZ ; Chef de pôle Médecine spécialisée, Hôpitaux universitaires de Paris-Seine Saint Denis.  Conseil d’Administration de la Société française de cardiologie, en charge des relations internationales Afrique.

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 Depuis de nombreuses années, d’un congrès à l’autre, les cardiologues impliqués en Afrique francophone se sont rencontrés, ont échangé leurs expériences, se sont confiés leurs malades, ont promu leurs élèves dans les écoles qu’eux-mêmes avaient fréquentées ou créées, en Afrique, en France, presque « en famille », comme E Bertrand nous dit souvent. Les choses évoluent, le monde s’accélère, et nos relations ont suivi, avec un succès dont on peut faire le bilan, mais qui doit surtout servir de base pour l’avenir.

Un point d’étape

Voici maintenant une quinzaine d’années, au cours d’une longue conversation avec le Pr SA Ba, nous avions discuté de l’opportunité d’une plus forte implicationde la Société française de cardiologie aux côtés de la cardiologie africaine francophone. Ces souhaits, repris à Paris, ontété entendus par la SFC,et, si on fait un petit bilan aujourd’hui, bien au-delà de nos espérances de ce soir-là.

Le premier pas a consisté à réactiver le groupe de travail de la SFC « Cardiologie tropicale ». L’aide et l’appui bienveillant d’Edmond Bertrand, qui a assisté à toutes les sessions de communications et à toutes les réunions de travail aux Journées européennes y a beaucoup contribué. La présence à chacune des rencontres aux JE SFC des chefs d’école et chefs de service de cardiologie Africains, aux côtés des Français qui s’impliquent en Afrique, au premier rang desquels figurent Xavier Jouven et sa très dynamique équipe, a assuré la cohésion de ce groupe, qui se réunit peu, mais dont les liens se sont renforcés d’année en année, au point d’être considéré à la SFC comme « le groupe de travail le plus soudé ».

La SFC a ensuite coopté les universitaires de cardiologie d’Afrique subsaharienne ainsi que les cardiologues impliqués dans la marche de leur société nationale en tant que membres correspondants étrangers. Cette nomination à caractère honorifique assurait à nos collègues Africains une sorte de parité avec la tradition qui fait que les universitaires français sont cooptés en tant que membres titulaires de la SFC. Cette mesure a été prise sous la présidence de Geneviève Derumeaux, et continuée pendant celles d’A Hagège et d’Y Juillière. 

Dans le cadre du groupe de Cardiologie tropicale, nous avons construit des études coopératives en relais de CORONAFRIC et de MULTAF. Le registre VALVAFRIC, coordonné par le Pr S Kingué, est en coursde publication dans Archives of CardiovascularDiseases. Le Consensus de prise en charge des syndromes coronaires aigus, établi lors du congrès AFRICARDIO organisé par M Kakou-Guikahué au printemps 2015,  est lui aussi accepté et en instance de publication dans le même journal. Les travaux de l’équipe de X Jouven, menés en partenariat avec des relais de la cardiologie africaine, s’ils bénéficient de la puissance d’une structure de recherche dédiée à Paris, montrent aussi le formidable potentiel de publications de haut niveau des équipes africaines (étude CADRE, SEVEN, EIGHT, registre FEVRIER etc).

Progressivement aussi, la part SFC des cardiologues français venant assister aux congrès de cardiologie de l’Afrique francophone n’a cessé de croitre. L’un des grands moments en a été la conférence exceptionnelle de Jean-Claude Daubert au congrès de la PASCAR à Dakar. Puis, avec Yves Juillière, le président en exercice de la SFC a commencé à compter les congrès d’Afrique subsaharienne dans son agenda. Les liens que nous souhaitions étaient noués. A Hammamet, en novembre dernier, lorsque le Président de la Société Tunisienne de cardiologie, S Mourali, avait invité les sociétés nationales de cardiologie africaines, un autre pas a été franchi. Tous ensembles le temps d’une photographie, nous avons compris l’identité de notre communauté, qui réunit les cardiologues francophones, d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne et de France. Il nous a semblé qu’il fallait continuer.

 La dernière étape en date a eu lieu en janvier 2016, aux Journées européennes, où la SFC a décidé d’inviter 6 cardiologues en formation, 3 d’Afrique du Nord (Algérie,  Maroc,  Tunisie) et 3 d’Afrique subsaharienne (Cameroun, Cöte d’Ivoire,  Sénégal) au congrès. Totalement pris en charge par la SFC, ces 6 jeunes collègues ont été désignés par leur société de cardiologie nationale sur la base du mérite (ex : prix du meilleur poster ou de la meilleure communication à leur congrès national). Ils ont été reçus à leur arrivée par le Président de la SFC, Yves Juillière, et le Président du comité scientifique du congrès, Ariel Cohen, puis confiés au groupe des cardiologues en formation de la SFC, pour suivre le programme spécifique du congrès dit « Parcours dédié aux jeunes cardiologues ». Le but de cette initiative est d’étendre les liens si forts qui réunissent les cardiologues de la francophonie entre eux à leurs plus jeunes collègues de sorte à pérenniser les coopérations et les partenariats dans l’avenir. Et là, il faut dire aussi que tous les espoirs que nous avions mis dans cet essai ont été dépassés. Nos jeunes collègues ont organisé une session où ils se sont présentés leurs travaux, ont échangé leurs expériences puis se sont retrouvés de session en session au cours du congrès. Parmi les grands moments de la SFC, je crois qu’on peut compter le débriefing de cette expérience le samedi midi à la fin du congrès. L’enthousiasme que nous avons vu chez nos jeunes collègues au décours de cette expérience, leur souhait de la perpétuer, de monter des études coopératives ensemble, me semble l’un des plus beaux gages de l’avenir.

 

Les enjeux de demain

 La multiplicité des objectifs à poursuivre demain doit prendre en compte nombre de difficultés mais aussi de progrès, tels que la formation des cardiologues dans des écoles comme Dakar et Abidjan. Nos collègues cardiologues d’Afrique subsaharienne  francophone sont aujourd’hui plus de 300, hospitaliers, hospitalo-universitaires et libéraux. C’est très peu à l’échelle d’un demi-continent, même si les maintenant 3 générations de cardiologues africainsy ont réussi le triple challenge de développer une activité clinique avec des malades nombreux et graves, de surmonter les difficultés matérielles (tant pour les malades que pour les émoluments des médecins hospitaliers), et de poursuivre une activité d’investigation clinique.

Pour ce qui est de la part académique de notre exercice, le nombre des publications scientifiques émanant de la cardiologie subsaharienne n’a cessé de  progresser. En répertoriant les articles référencés sur Pubmed/Medline à l’intersection des entrées « Cardiovasculardisease » et «Africa », la contribution de l’Afrique a été multipliée par 10 au cours des 30 dernières années. De 86 articles par an en 1986, nous sommes passés à 883 en 2014 (Figure 1). Cette progression, qui est bien sûr observée partout ailleurs, traduit à la fois le fait que les affections cardiovasculaires ne restent pas marginales en Afrique subsaharienne, et que l’aspect « académique » de la cardiologie qui les a prises en charge n’est pas resté en retrait sur le continent africain. Les thématiques des publications  ont aussi évolué au cours des trois dernières décennies. L’hypertension artérielle, sujet de la moitié des articles il y a 30 ans, n’en représente plus que 31%, tandis que la thrombose veineuse et l’infarctus du myocarde sont passés de 1% à 8% et de 1% à 10%, respectivement, entre 1991 et 2014.

 

Figure 1

Si on regarde ensuite pays par pays l’intersection de « cardiac, heart, et pays » sur Pubmed/Medline, on note la part importante des travaux publiés au cours des 5 dernières années (Tableau).

Tableau 1

Publications par pays à l’intersection Pubmed/Medline « cardiac, heart ».

 

 

 

 

Pays

Total publications (n=)

Publications entre 2010 et 2015 (n=)

Pourcentage de publications entre 2010 et 2015

Bénin

72

34

47%

Burkina-Faso

41

19

46%

Congo Brazzaville

26

11

42%

Cameroun

142

87

61%

Côte d’Ivoire

77

22

   28,5%

Gabon

13

  8

61%

Guinée Conakry

  6

  2

33%

Mali

53

26

49%

Mauritanie

  6

  5

83%

Niger

12

  2

16%

Sénégal

                 155

46

29,5%

Togo

19

14

73%

 

 

 

 

Il ne faut évidemment pas lire le tableau en relevé d’activité de tel ou tel centre de cardiologie, car ce ne sont pas les publications des services qui sont répertoriées. Le tableau n’est que le reflet de l’augmentation actuelle, observée sur tous les pays, de la production académique dans le domaine cardiovasculaire. La même progression est observée en Algérie, au Maroc, en Tunisie, mais aussi en France. Et là, nous avons une réflexion à mener, qui repose sur trois considérations. Les travaux et articles à publier sont de plus en plus nombreux. Le nombre de journaux auxquels ils peuvent être soumis s’est aussi multiplié, mais leur accessibilité a beaucoup diminué, avec des critères de sélection très rigoureux, en particulier sur le plan méthodologique. Le corolaire pour des travaux émanant d’équipes n’ayant pas de structure de recherche dédiée, est que l’énergie à dépenser pour caser un travail est énorme, et le résultat souvent aléatoire.

La cardiologie francophone en Afrique doit donc se structurer pour promouvoir au mieux ses travaux. Les études entreprises doivent débuter par un examen préalable et soigneux des objectifs, des moyens, de la faisabilité, de la méthodologie, en particulier statistique. Il faudra, à un moment ou un autre, nous doter d’une cellule méthodologique, de capacités d’élaborer des CRF pour le recueil des données, de disposer d’un hébergement pour les données, et de capacités de les traiter.

Ces prérequis peuvent paraître insurmontables, ne serait-ce qu’à moi-même qui ai souvent travaillé en artisan. Le temps de l’artisanat est malheureusement révolu, et il nous faudra nous adapter. Un secours inattendu s’est cependant manifesté avec l’enthousiasme de nos jeunes collègues impliqués dans l’expérience des JE SFC 2016. Les CRF, les statistiques, l’informatique, la gestion de données ne les effraient pas. Au fameux débriefing du samedi midi à Paris, ils piaffaient d’impatience pour construire ce futur qui est le leur. Si vous êtes d’accord, on va aller dans ce sens-là.

Le second aspect de cette réflexion concerne les journaux auxquels peuvent avoir accès des articles de structuration qu’on pourrait qualifier d’«intermédiaire » (les miens par exemple), ou rédigés en Français. Les journaux publiés en Français deviennent très sélectifs eux aussi, en raison de leur impact factor régulièrement menacé par l’absence de citations internationales. Nous devrons donc, parallèlement au travail méthodologique sur les publications en anglais, conforter les journaux spécifiques comme Cardiologie tropicale/Tropical cardiology. L’idéal serait d’obtenir une indexation. Pour cela, il faut des titres et abstracts en anglais, un contenu sélectif avec processus de review, une parution régulière, un flux de soumission de travaux originaux suffisant. Des pelles de charbon. On connait. Alors, pourquoi pas ?