Cas Clinique . Case Report :Thrombose carotidienne spontanée à propos d’un cas.
Spontaneous carotid arterial thrombosis: a case report.
PIO M1, AFASSINOU Y1, BARAGOU S1, GOEH-AKUE E1, SAMA H.D2,
TCHAOU M3, GUMEDZOE K4, BELO M4.
RESUME
Les thromboses des artères carotides sont une cause reconnue mais rare d'accident vasculaire cérébral (AVC). Elles peuvent être spontanées ou être en relation avec un traumatisme direct ou indirect de la région cervicale. Un homme de 40 ans sans facteurs de risque cardiovasculaire ni d’antécédent de traumatisme, est hospitalisé pour une hémiplégie droite et aphasie. Le scanner cérébral réalisé montre un accident ischémique dans le territoire de l'artère cérébrale sylvienne. L'échographie-Döppler des troncs supra aortiques montre une sub-occlusion de l'artère carotide interne gauche. L’angioscanner des troncs supra aortiques révèle une thrombose sur plaque d’athérosclérose de la carotide interne gauche. L’évolution sous traitement anticoagulant est partiellement favorable. A partir de ce cas clinique, les auteurs insistent sur la nécessité de réaliser un échoDöppler des troncs supra aortiques chez tout patient ayant présenté un AVC ischémique surtout en Afrique où l’HTA en est souvent retenue comme étiologie.
MOTS CLES
Thrombose, carotide, accident vasculaire cérébral, échoDöppler.
SUMMARY
Carotid arterial thromboses are known but rare causes of stroke. They can be spontaneous or due to direct or indirect trauma of the cervical region. A man of 40 years old without any cardiovascular risk factor and without any past history of trauma is admitted for right hemiplegia and aphasia. A cerebral scan carried out showed an ischemic stroke in the area of the mid-cerebral artery. Döppler ultrasound showed a sub-occlusion of the left internal carotid artery. The angioscan of the supra aortic trunk showed thrombosis of the left internal carotid. The evolution under an anti-coagulant was partially favorable.
Based on the above case, the authors suggest the importance of performing a Döppler ultrasound of the supra aortic trunks for all patients who presented an ischemic stroke especially in Africa where HTN is thought to be the cause.
KEY WORDS
Thrombosis, carotid, stroke, Döppler ultrasound.
1- Service de Cardiologie. CHU Sylvanus Olympio de Lomé. 2- Service d’Anesthésie-réanimation, Pavillon militaire. CHU Sylvanus Olympio de Lomé. 3- Service de radiologie CHU Sylvanus Olympio de Lomé. 4- Service de Neurologie clinique, Pavillon militaire. CHU Sylvanus Olympio de Lomé. |
Adresse pour correspondance Dr PIO Machihude Maître-Assistant. Service de Cardiologie du CHU Sylvanus Olympio de Lomé. Tél: (00228) 90 95 59 94 ; BP : 14148 - Lomé-Togo. |
INTRODUCTION
Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) représentent la deuxième cause de mortalité dans le monde et 87% de ces AVC surviennent dans les pays en développement. En Afrique ce sont les sujets jeunes qui en sont victimes et l’hypertension artérielle (HTA) en est le facteur le plus souvent incriminé [1]. Cependant, d’autres étiologies plus rares peuvent être observées. Nous rapportons un cas d’accident vasculaire ischémique (AVCI) dû à une thrombose spontanée de la carotide interne. Ce cas clinique permet d’insister sur la nécessité de pratiquer systématiquement l’échoDöppler des vaisseaux du cou chez un patient victime d’AVC ischemique surtout dans les pays pauvres. C’est aussi une occasion de faire une revue de la littérature sur les modalités thérapeutiques des thromboses carotidiennes.
OBSERVATION
Il s’agit d’un homme de 40 ans animateur d’une chaîne de radio-diffusion admis au pavillon militaire du CHU Sylvanus Olympio de Lomé pour déficit hémicorporel droit. Le patient n’avait aucun facteur de risque cardiovasculaire personnel ni familial. Il n’avait pas de notion de traumatisme ni de processus infectieux. L’accident s’est produit alors que le patient était assis au salon regardant la télévision. Il fut admis dans un hôpital régional puis référé au pavillon militaire CHU Sylvanus Olympio 36 heures après le début de la maladie. L’examen au CHU a noté un patient conscient, aphasique se plaignant de céphalées et de cervicalgies gauches par gestes. La tension artérielle était de 130/85mmHg aux deux bras, les pouls périphériques étaient symétriques et chiffrés à 96 battements par minute. Outre une hémiplégie flasque droite, le patient présentait un ptosis modéré gauche. Il n’y avait pas de souffle carotidien. L’auscultation cardiaque était normale. L’ECG, l’échoDöppler cardiaque étaient sans particularité. Le scanner cérébral a montré un infarctus sylvien total gauche (Figure1). L’échoDöppler des vaisseaux du cou a objectivé un volumineux thrombus sub-occlusif flottant sur une plaque d’athérosclérose à l’ostium de la carotide interne gauche (Figure 2). L’angioscanner des troncs supra-aortiques montre une sténose par un thrombus flottant sur plaque d’athérosclérose à bord irrégulier de la carotide interne gauche (Figure 3). Notre plateau technique ne comporte pas d’angiographie.
Les examens biologiques en particulier le bilan de thrombophilie (antithrombine III, protéine S, protéine C), le taux de prothrombine, la numération formule sanguine et le taux des cholestéroles étaient normaux. Le diagnostic d’une thrombose spontanée carotidienne sur plaque fut retenu. Le patient fut mis sous héparine de bas poids moléculaire (HBPM) (énoxaparine) associée à l’acide acétyl-salycilique 300 mg / jour pendant 10 jours avec un relais par un antivitamine K (AVK) (le fluindione) pour deux mois. La cible de l’International Normalized Ratio (INR) visée était de 2-3. Outre ce traitement , le patient était mis sous statine (Atorvastatine) 40 mg par jour. Le plateau technique local ne permet aucun geste chirurgical. Après un suivi de deux mois, le patient avait une conscience normale. L’aphasie a fait place à une dysarthrie peu invalidante. Le ptosis a disparu. L’hémiplégie flasque a régressé avec une force motrice estimée à 3/5 au membre supérieur et à 4/5 au membre inférieur. Après 6 mois de suivi, l’état clinique était resté stationnaire. L’échoDöppler et l’angioscanner des troncs supra aortiques ont montré un thrombus pariétal séquellaire. (Figure 4).
DISCUSSION
La thrombose carotidienne constitue une cause rare d’accident vasculaire et son histoire naturelle n’est pas bien établie de même que l’attitude thérapeutique n’est pas bien codifiée [2]. La thrombose carotidienne peut être spontanée ou secondaire à une dissection carotidienne. Elle peut être secondaire à un traumatisme (notion d’une activité énergique ou d’un traumatisme mineur dans les heures ou les jours précédents) [3]. Les facteurs de risque des thromboses carotidiennes sont l’athérosclérose et les états d’hypercoagulabilité [3,4]. Notre patient est jeune sans facteur de risque d’athérosclérose et sans déficit en facteurs de coagulation. Les explorations morphologiques ne sont pas en faveur d’une dissection carotidienne. Compte tenu du jeune âge de notre patient nous nous sommes confrontés à un problème de diagnostique étiologique de cette thrombose carotidienne. Mais l’échoDöppler des troncs supra aortiques avait objectivé outre la thrombose, une plaque athéromateuse à la face postérieure de l’ostium de la carotide interne gauche et l’angioscanner avait noté des lésions en faveur d’une thrombose sur plaque. Nous avons traité le patient comme thrombose spontanée carotidienne par rupture de plaque d’athérosclérose. Hill et al avaient rapporté un cas de thrombose spontanée sur plaque chez un jeune 39 ans sans facteur de risque cardiovasculaire [4]. Rappelons que l’hypertension artérielle n’est pas admise comme facteur de risque direct d’une thrombose carotidienne [5,6]. Ce dernier point est important car il souligne l’importance de rechercher une autre cause d’accident vasculaire chez l’hypertendu de moins de 45 ans surtout dans les pays d’Afrique noire. Les sujets victimes d’accident vasculaire cérébral en Afrique sont jeunes avec un âge moyen de 44,5 à 61 ans [1]. Les explorations paracliniques se limitent dans la plupart des cas au scanner cérébral et l’HTA est souvent trop facilement incriminée dans ces pays [1]. Chez notre patient, l’accident vasculaire ischémique avec hémiplégie a été le mode de découverte de la thrombose carotidienne. Il s’agit des circonstances habituelles de découverte des thromboses carotidiennes. Des cas de thromboses carotidiennes asymptomatiques ou frustres ont été rapportés dans la littérature [2]. Il s’agit des thromboses peu occlusives avec des embolies cérébrales à point de départ carotidien. Ces cas sont révélés par des accidents ischémiques transitoires [2]. Le diagnostic d’une thrombose carotidienne doit être évoqué devant des céphalées, une cervicalgie et un syndrome de Claude Bernard Horner car cette thrombose peut être secondaire à une dissection carotidienne [7,8]. Le diagnostic de la thrombose carotidienne est posé par l’échoDöppler, l’angioscanner, l’angio-IRM et l’angiographie des troncs supra aortiques. L’angio-IRM et l’angiographie sont rarissimes en Afrique noire l’échoDöppler y etant plus accessible. L’échoDöppler des troncs supra aortiques est un examen simple à réaliser mais on lui reproche un facteur opérateur dépendant. La sensibilité de cette technique en cas de thrombose ou de dissection carotide varie entre 86% et 96% [7,8]. Mais c’est un examen peu couteux, non invasif et facilement reproductible au lit du patient. L’échoDöppler des troncs supra aortiques est en outre indispensable en urgence et pour le suivi du patient [4,9]. En attendant la vulgarisation de la pratique de l’angioscanner, de l’angio-IRM et l’angiographie dans nos pays, nous insistons sur la réalisation de l’échoDöppler des troncs supra aortiques de façon systématique chez tout patient victime d’accident vasculaire cérébral ischémique.
Le traitement de la thrombose carotidienne fait appel aux thrombolytiques, aux héparines, aux anti-vitamines K (AVK), aux antiagrégants plaquettaires (AAP), à la thrombectomie et à l’endartériectomie [2-4]. Les modalités thérapeutiques ne font pas l’unanimité car peu de cas sur les thromboses carotidiennes sont rapportés dans la littérature [2]. Hill SL et Caplan L insistent sur un traitement médical pur [4,10]. Moore WS préfère la chirurgie [11]. De façon consensuelle les patients ayant une thrombose carotidienne sur plaque compliquée d’AVC ne sont pas candidats à la chirurgie en urgence. Ils doivent bénéficier d’un traitement médical en urgence et subir une endartériectomie secondairement pouvant aller jusqu’à 4 mois [4,9]. Les thrombolytiques sont préconisés dans les thromboses vues tôt avant 6 heures mais ces thrombolytiques peuvent transformer un AVCI en un accident vasculaire hémorragique [4,9]. Pour Sallustio F et Coull BM les thrombolytiques ne semblent pas améliorer la mortalité ni le pronostic des thromboses carotidiennes [9,12]. Hill et al ont utilisé l’héparine et le clopidogrel relayés par la coumadine sur 10 jours avec succès [4]. Delgado MG et al ont utilisé l’héparine sur 13 jours avec succès relayé avec l’acide acétyl salicylique 300 mg et l’atorvastatine 80 mg [2]. Chez notre patient deux mois après le début de la thrombose et sous AVK, l’évolution est restée mitigée mais progressivement favorable. Nous pensons que cette évolution aurait pu être plus favorable s’il n’y avait pas eu ce retard diagnostique et thérapeutique de 36 heures.
CONCLUSION
La thrombose carotidienne spontanée est une cause relativement rare d’accident vasculaire-ischémique chez un sujet jeune. L’échoDöppler des vaisseaux du cou est l’examen de dépistage non invasif, accessible et reproductif. Un traitement médical par héparinothérapie précoce associée à un anti agrégant plaquettaire améliore le pronostic.
Figure 1a : Scanner cérébral du patient montrant un infarctus sylvien total gauche.
Figure 1b : Coupe longitudinale échographi-que de la carotide interne gauche montrant un thrombus flottant sub-occlusif sur une plaque d’athérosclérose au niveau de l’ostium.
Figure 1c : Image scannographique de la carotide interne gauche montrant un thrombus sur plaque.
Figure 2a : Image échographique de la carotide interne après 6 mois montrant des séquestres post-thrombotiques sur plaques d’athérosclérose.
Figure 2b : Image scannographique de la carotide interne après 6 mois.