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Fréquence et facteurs associés à l’allongement de l’intervalle QT chez l’adulte insuffisant cardiaque chronique à Yaoundé.

 

Frequency and associated factors with QT interval prolongation in adults with chronic heart failure in Yaounde.

 

 

J BOOMBHI1,2,*, BN TONYE TONYE1, C-N NGANOU-GNINDJIO1,3, MAZOU N. TEMGOUA1,2 , L MFEUKEU-KUATÉ1,3,

S NDONGO AMOUGOU1, FU NZOUNJI5,  V AMA MOOR 4, AP MENANGA1, 2, S KINGUE1, 2

 

 

 

RESUME

 

Contexte : L'insuffisance cardiaque est un problème majeur de santé publique en raison de son incidence croissante et de son pronostic péjoratif dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. La mortalité au cours de cette affection est le plus souvent en rapport avec des troubles du rythme ventriculaire. L’allongement de l’intervalle QT bien qu’étant un élément prédicteur d’arythmies cardiaques et de mort subite chez le patient insuffisant cardiaque, est peu décrit en contexte sub-saharien. Nous avons donc jugé opportun de déterminer la fréquence et d'identifier les facteurs associés à l'allongement de l'intervalle QT chez les patients adultes vu en d'insuffisance cardiaque chronique à Yaoundé.

Méthodologie : Nous avons réalisé une étude transversale descriptive de janvier à mai 2020 (05 mois) à l'Hôpital Central et à l'Hôpital Général de Yaoundé. Les adultes atteints d'insuffisance cardiaque chronique se présentant dans ces deux hôpitaux ont été recrutés en ambulatoire. Les dosages sanguins de la créatinine, de l'urée, du potassium, du sodium et du calcium total ont été effectuées. Un électrocardiogramme à 12 dérivations a été effectué à tous ces patients pour déterminer le type de rythme cardiaque, mesurer l'intervalle QT, rechercher les troubles du rythme ainsi que les indices d'hypertrophie (ventriculaire et auriculaire). Le calcul de l'intervalle QT corrigé a été réalisé à l’aide de la formule de Bazett pour les fréquences cardiaques entre 60 et 100 battements par minute ; en cas de fréquence cardiaque en dehors de cette plage, la formule de Framingham a été utilisée. Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel Epi Info version 7. Le seuil de signification a été fixé à 5 %.

Résultats : Sur un total de 104 patients, 19 (18,27 %) avaient un intervalle QT allongé, et 01 (0,09 %) présentaient un intervalle QTc anormalement élevé (> 500 ms). Les troubles de la repolarisation (p = 0,035), l’hypocalcémie (p = 0,015), l’hypokaliémie (p = 0,0016), l’hypertrophie ventriculaire gauche (p= 0,005), et la lésion rénale aigue (p = 0,010) étaient associées à l’allongement de l’intervalle QT. Le QT allongé n’était pas significativement associé à l’âge avancé, et au sexe. Le QT allongé n’était pas significativement associé à l’âge avancé, au sexe ainsi qu’aux thérapies usuelles de l’insuffisance cardiaque.

Conclusion : L’allongement de l’intervalle QT est fréquent chez l’adulte insuffisant cardiaque à Yaoundé. Les facteurs associés retrouvés étaient : l’hypokaliémie, l’hypocalcémie, une élévation de la créatininémie, l’hypertrophie ventriculaire gauche et les troubles secondaires de la repolarisation. Ces résultats suggèrent une attention particulière sur ces prédicteurs d’allongement du QT chez les patients insuffisants cardiaques en vue de prévenir les décès prématurés.

 

 

 

MOTS CLES

 

Insuffisance cardiaque chronique ; intervalle QT ; adulte ; Yaoundé ; Cameroun.

 

 

 

SUMMARY

 

 

Background: Heart failure is a chronic cardiovascular disease that has an increasing incidence and a poor prognosis in adults in Sub-Saharan Africa due to the rhythm disorders frequently associated to it. Although QT interval prolongation increases cardiovascular mortality in chronic heart failure, it as been poorly investigated and it remains undiagnosed in Sub-Saharan Africa. We therefore deemed it appropriate to determine the frequency and identify the factors associated with QT interval prolongation in adult patients with chronic heart failure in Yaoundé.

Materials and Method: We conducted a descriptive cross-sectional study over a 05 months from January to May 2020 at the Central Hospital and General Hospital of Yaounde.  Adults with chronic heart failure presenting in these two hospitals without signs of decompensation were recruited on an outpatient basis. A 12-lead electrocardiogram was performed to all these patients to determine the type of heart rhythm, measure the QT interval, look for rhythm disturbances and hypertrophy indices (ventricular and atrial). For heart rates between 60 and 100 beats per minute, Bazett's formula was used for the calculation of the corrected QT; for heart rates outside this range, Framingham's formula was used. Patients' left ventricular systolic and diastolic function were assessed by transthoracic echocardiography (TTE). Blood measurements of creatinine, urea nitrogen, potassium, sodium and total calcium were performed. The statistical significance level was set at 5%.

Results: Out of 104 patients, 19 (18.27%) had a prolonged QT interval and 01 (0.09%) had an abnormally high QTc interval (> 500 ms). Secondary repolarization disorders (p=0.035), hypocalcaemia (p=0.015), hypokalemia (p=0.0016), left ventricular hypertrophy (p=0.005), and plasma creatinine level > 13 mg/l (p=0.010) were associated with QT interval prolongation. QT prolongation was not significantly associated with advanced age or sex. No association was found between QT prolongation and heart failure drugs.

Conclusion: QT interval prolongation was present in 1/5 of our patients. The associated factors found were: hypokalemia, hypocalcaemia, a plasma creatinine concentration higher than 13 mg/l, left ventricular hypertrophy and secondary repolarization disorders.

 

 

KEY WORDS

Chronic heart failure; QT interval; adult; Yaoundé; Cameroon

 

 

 

1.Département de Médecine Interne et de spécialités, Faculté de Médecine et de Sciences Biomédicales, Université de Yaoundé I, Yaoundé, Cameroun.

2. Service de Cardiologie, Hôpital Général de Yaoundé, Yaoundé, Cameroun.

3. Service de Cardiologie, Hôpital Central de Yaoundé, Yaoundé, Cameroun.

4. Laboratoire de Biochimie du Centre Hospitalier Universitaire de Yaoundé

5. Institut Supérieur des Sciences de la Santé, Université des Montagnes, Baganté, Cameroun

Adresse pour correspondance :

Dr Jérôme Boombhi, MD,

Département de Médecine Interne et Spécialités,

 Faculté de Médecine et des Sciences Biomédicales, Université de Yaoundé I, Yaoundé, Cameroun,

Tél. +237 675814913,

E-mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

Les maladies cardiovasculaires constituent un groupe hétérogène d’affections touchant le cœur et les vaisseaux [1]. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les maladies cardiovasculaires constituent la 1ère cause de mortalité dans le monde jusqu’en 2019 [2]. Parmi les maladies cardiovasculaires, l'incidence de l'insuffisance cardiaque (IC) est en augmentation et son pronostic reste mauvais malgré les diverses modalités de traitement [3–5]. Bien que de nombreux marqueurs de mauvais pronostic soient connus à ce jour, il reste difficile de prédire le pronostic des patients avec IC [6]. Les deux mécanismes de décès les plus courants chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque chronique sont l'insuffisance progressive de la pompe cardiaque et une détérioration soudaine et inattendue [7]. Chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque chronique modérée à légère, la mort subite est le mécanisme le plus courant [8]. Les arythmies ventriculaires malignes sont les causes les plus fréquentes de mort subite [9]. Le dénominateur commun des arythmies ventriculaires est la variation de la durée de la repolarisation et/ou de la dépolarisation ventriculaire, qui peut être évaluée sur un Electrocardiogramme (ECG) standard à 12 dérivations en mesurant la durée de l'intervalle QT [10]. Il a été démontré que la durée de l'intervalle QT sur un ECG standard permet de prédire les événements rythmiques chez les patients atteints de diverses maladies du myocarde [11]. Chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque chronique, l'allongement de l'intervalle QT est associé à un taux de mortalité de 41 % par rapport à ceux dont l'intervalle QT est normal (14 %)  [12]. L'allongement de l'intervalle QT n'est plus uniquement lié à l'âge, à la prescription de diurétiques et à une surcharge systolique persistante, comme le montrait certaines études [13]. Par conséquent, les prestataires de soins de santé devraient être correctement informés de l'importance de la durée de l'intervalle QT dans la stabilité cardiovasculaire des patients atteints d'insuffisance cardiaque chronique. En effet, selon une enquête menée auprès de professionnels de la santé aux États-Unis, 57 % des professionnels de la santé ne savent pas comment mesurer l'intervalle QT ni identifier correctement les facteurs qui peuvent prolonger l'intervalle QT [14]. L'allongement de l'intervalle QT serait donc sous-diagnostiqué et méconnu des professionnels de santé dans notre contexte.

 

 

 

OBJECTIF

 

 

L'objectif principal de notre étude était d’étudier la fréquence et les facteurs associés à l'allongement de l'intervalle QT chez l’adulte atteint d'insuffisance cardiaque chronique stable à Yaoundé.

 

 

 METHODOLOGIE

 

 

Type, cadre et population d'étude

 

Nous avons mené une étude transversale comparative pendant la période du 1er janvier au 31 mai 2020. Cent quatre (104) patients atteint d'insuffisance cardiaque chronique ont été enrôlés consécutivement à l'Hôpital Central (54) et à l'Hôpital Général (50) de Yaoundé. L'insuffisance cardiaque a été définie par la présence de signes cliniques ou paracliniques d'insuffisance cardiaque conformément aux recommandations de la Société européenne de cardiologie[15]. Les patients présentant des symptômes d'insuffisance cardiaque datant d’au moins trois mois étaient éligibles pour notre étude. Ils ont ensuite bénéficié d'une session éducative sur les différents concepts clés de l'étude afin d'obtenir leur consentement éclairé. Les patients âgés d'au moins 18 ans, présentant des signes cliniques ou paracliniques d'insuffisance cardiaque chronique sans signe de décompensation et ayant donné leur consentement libre et éclairé ont été inclus dans notre étude. Ont été exclus de notre étude les patients souffrant d'insuffisance cardiaque chronique avec fibrillation ou flutter atrial, bloc de branche (droite ou gauche) et ceux porteur d’un stimulateur cardiaque. Les dossiers médicaux des patients externes étaient exploités pour recueillir des informations sur la fonction ventriculaire.

 

Procédure

 

La fonction systolique a été évaluée en utilisant la valeur la plus récente de la fraction d'éjection du ventricule gauche présente sur l'échocardiographie transthoracique (ETT) et l'insuffisance cardiaque était en trois classes [15]:

-        IC à fraction d'éjection réduite : FEVG < 40 %.

-        IC à fraction d'éjection moyennement altérée : 40 % < FEVG < 49 %.

-        IC à fraction d'éjection préservée : FEVG ≥ 50 %.

La fonction diastolique a été évaluée selon les recommandations de la Société Européenne de Cardiologie [16]. La fonction diastolique normale a été définie comme suit : un rapport E/A de 0,8-1,9, un rapport E/E' < 14, un TD de 150-220 ms, une surface de l'oreillette gauche inférieure à 34 cm2. La dysfonction diastolique du ventricule gauche a été définie par les critères suivants :

-        Grade I: E/A ≤ 0,8 et E ≤ 50cm/s;

-        Grade II : E/A ≤ 0,8 et E ≥ 50cm/s et au moins deux des trois (03) critères suivants :

  • E/e" moyen > 14;
  • Vmax IT > 2, 8 m/s ;
  • Volume d'OG indexé > 34 ml/m2 ;

-        Grade III : E/A ≥ 2.

Tous les patients présentant des signes cliniques ou paracliniques d’insuffisance cardiaque ont bénéficié d’un électrocardiogramme (ECG) standard au repos effectué à l'aide d'appareils ECG (marque MAC 1200 ST et NIHON KOHDEN Cardiofax) avec une vitesse de déroulement du papier de 25 mm/sec. Les paramètres recueillis étaient : le type de rythme cardiaque, l'intervalle QT, l’existence des troubles de la repolarisation (primaires et secondaires à l’HVG), de la conduction et de l'excitation (extrasystole auriculaire, ventriculaire et jonctionnelle). Des valeurs automatiques de l'intervalle QT ont été enregistrées. Si elles n'étaient pas disponibles, les dérivations DII et V5 étaient utilisées pour la mesure de l'intervalle QT. L'intervalle QT était mesuré depuis le début du complexe QRS jusqu'au retour visible de l'onde T sur la ligne isoélectrique sur trois complexes QRS successifs. La moyenne a été prise comme valeur de l'intervalle QT mesuré. Si la fin de l'onde T ne pouvait pas être clairement identifiée, la dérivation avec l'extrémité la plus visible de l'onde T était choisie entre les dérivations latérales gauches (V5/V6) et antéro-septales (V2V3). Lorsque l'onde T était interrompue par l'onde U, la fin de l'onde T était définie comme le nadir entre l'onde T et l'onde U. L'intervalle QT était mesuré par le l’investigateur principal sous la supervision d'un cardiologue "aveuglé" par les données cliniques du patient. L'intervalle QT était prolongé pour des valeurs supérieures à 450 ms et 460 ms chez les hommes et les femmes respectivement [17].

Plusieurs facteurs peuvent affecter la repolarisation du myocarde et modifier ainsi la durée de l’intervalle QT parmi lesquels les concentrations sériques de certains ions. Les dosages sanguins étaient effectués en vue de recherche une association éventuelle entre les modifications électrolytiques et la durée de l’intervalle QT. À cet effet, un prélèvement était réalisé à chaque patient afin de doser la natrémie (Na+), la calcémie (Ca2+) et la kalémie (K+). L'hypokaliémie a été définie par un taux sérique de < 3,5 mmol/L, l'hypocalcémie par une valeur de < 81 mg/L et l'hyponatrémie par une valeur de < 135 mmol/L [18]. Les données de la fonction rénale à savoir l’urée et la créatinine étaient également répertoriées. Les valeurs normales de l’urée sanguine et de la créatininémie étaient respectivement de 0,15-0,45 g/l et 6-13 mg/l. [18]. Les analyses biologiques ont été effectuées dans le laboratoire de biochimie du Centre hospitalier universitaire de Yaoundé (CHUY). Le calcium total a été déterminé par la méthode du Complexe 0-Crésolphtaléine. La créatinine et l'urée plasmatique ont été déterminées par la méthode cinétique, tandis que les valeurs de la kalémie et de la natrémie ont été obtenues par l'ionomètre Genrui GE 300.

 

Analyses statistiques

 

L'analyse des données a été effectuée avec le logiciel Epi-info version 7.2.2.6. Le test du Khi-deux et le test exact de Fischer ont été utilisés pour l'association des variables qualitatives. Le test de Mann-Whitney était utilisé pour rechercher l’association entre variables quantitatives. Le degré d'association a été mesuré en calculant le rapport de côtes avec leur intervalle de confiance. Le seuil de significativité a été fixé à 5%.

 

Considérations éthiques

 

Notre étude a été soumise au Comité Régional d'Ethique et de Recherche en Santé Humaine (CRERSH) avec le numéro d’autorisation N° 3340/AP/MINSANTE/SG/DRSPC/CRERSH. De même, une autorisation a été obtenue auprès du Comité institutionnel d’éthique et de recherche (CIER) de la Faculté de Médecine et des Sciences Biomédicales de l’Université de Yaoundé I. Nous avons également obtenu des autorisations de recherche des directeurs des hôpitaux servant de sites d'étude.

 

 

 

RESULTATS

 

Nous avons inclus un total de 153 patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique à l’Hôpital Central et Général de Yaoundé dans notre étude. Conformément à nos critères, 49 patients ont été exclus et 104 patients ont été retenus (24 blocs de branche gauche ; 06 blocs de branche droite ; 17 fibrillation auriculaire ; 02 flutter auriculaire). Au total, 104 patients ont été retenus.

 

Caractéristiques sociodémographiques des patients

 

L'âge moyen de notre population était de 62 ± 12 ans avec un sexe ratio de 0,79. L’âge minimum de 18 ans et un âge maximum de 84 ans. Le groupe d'âge le plus représenté était : 60-70 [ans, suivi par les plus de 70 ans.

 

Caractéristiques cliniques des patients atteints d'insuffisance cardiaque

 

La majorité des patients étaient au stade II de la NYHA (68,27 %), suivi du stade I (21,15 %) et du stade III (10,57 %). Le type d'insuffisance cardiaque le plus fréquent était l'insuffisance cardiaque congestive (54,81 %). Selon la fraction d'éjection, le type d'insuffisance cardiaque le plus représenté était l'insuffisance cardiaque à fraction conservée (44,23 %). L'étiologie prédominante était la cardiopathie hypertensive (60,58 %), suivie par la cardiomyopathie dilatée et la cardiopathie valvulaire qui se partageaient la deuxième place (13,46 %). Les médicaments les plus couramment utilisés pour l'insuffisance cardiaque étaient les diurétiques de l’anse (32 %), les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (26 %) et les bêta-bloquants (19 %).

 

Fréquence de l'allongement de l'intervalle QT dans la population d’étude

 

Sur 104 patients, 19 avaient un QT allongé, ce qui nous donne une prévalence de 18,27%. Un (01) patient avait une valeur du QT anormalement élevée (≥ 500 ms). Aucune arythmie maligne n’a été observée chez ce dernier.

Les troubles de la conduction répertoriés étaient :

-        l’hémi-bloc antérieur gauche (HBAG) : 10 (9,62%) ;

-        l’hémi-bloc postérieur gauche (HBPG) : 01 (0,96%) ;

-        le bloc auriculo-ventriculaire de 1 er degré (BAV 1) : 07 (6,73%) .

Les troubles de l’excitation quant à eux étaient à type de :

-        extrasystole ventriculaire (ESV) : 24 (23,08 %) ;

-        extrasystole auriculaire (ESA) : 06 (5,77 %) ;

-        extrasystole jonctionnelle (ESJ) : 02 (1,92 %) .

Parmi les troubles de la repolarisation :

-        primaires : 03 (2,88 %)

-        secondaires à l’HVG : 29 (27,88 %)

 

 

Facteurs associés à l'allongement de l'intervalle QT

 

Les facteurs associés trouvés dans l'analyse bi-variée étaient : les troubles de conduction, les troubles d'excitation, les troubles de la repolarisation (primaires et secondaires à l’HVG), l’hypertrophie ventriculaire gauche. De plus, les données biologiques associées étaient l'hypokaliémie (p<0,001), l'hypocalcémie (p<0,001), un taux de créatinine >13 mg/L (p=0,010) étaient significativement associés à un allongement de l'intervalle QT. Le tableau I ci-dessous présente les résultats de l'analyse bivariée. Les facteurs indépendamment associés obtenus après régression logistique étaient : l’hypocalcémie (0,01), l’hypokaliémie (0,001), un taux de créatinine plasmatique >13 mg/L (0,010), les troubles de la repolarisation (primaires et secondaires à l’HVG) (0,035) et l’hypertrophie ventriculaire gauche (0,005).

 

 

 

DISCUSSION

 

Notre étude a révélé que l'allongement de l'intervalle QT est fréquent chez l’adulte insuffisant cardiaque chronique stable à Yaoundé. En outre, les facteurs associés se sont avérés être biologiques (hypokaliémie, hypocalcémie) et électrocardiographiques (hypertrophie ventriculaire gauche, et troubles secondaires de repolarisation).

 

 

 

Fréquence de l'allongement de l'intervalle QT

 

Sur 104 patients, 19 avaient un QT allongé, soit une prévalence de 18,27 %. Cette fréquence est inférieure à celle trouvée par Kolo et al au Nigeria qui était de 65 % [12]. En effet, la formule de Bazett utilisée par ce dernier surestime la valeur de l'intervalle QT en cas de tachycardie, ce qui pourrait faussement prolonger l'intervalle QT. En outre, les valeurs utilisées pour le cut-off étaient inférieures aux nôtres, à savoir 444 et 432 pour les hommes et les femmes respectivement, contre 450 et 460 pour les hommes et les femmes.

 

Facteurs associés à l'allongement de l'intervalle QT

 

Les facteurs électrocardiographiques indépendamment associés retrouvés étaient : les troubles de la repolarisation secondaires à l'hypertrophie ventriculaire gauche. Ces résultats corroborent ceux trouvés par Seftchick et al en Suisse qui ont également mis en évidence l'association entre l'hypertrophie ventriculaire gauche et l'allongement de l'intervalle QT [19]. En effet, l'hypertrophie ventriculaire gauche est à l'origine d'un remodelage mécanique qui inverse le gradient de pression transmural qui entraîne une réduction du courant de potassium sortant allongeant ainsi la phase de repolarisation du cycle cardiaque. Les troubles secondaires de la repolarisation sont directement liés à l'hypertrophie du ventricule gauche. Sur le plan biologique, l'hypokaliémie, l'hypocalcémie, un taux plasmatique de créatinine > 13 mg/L (p=0,010) étaient associées de manière significative à l'allongement de l'intervalle QT. Ces résultats convergent avec ceux de Tisdale et al.  aux États-Unis [20]. Cela s'explique par le fait que l'hypokaliémie ainsi que l'hypocalcémie allongent les phases 2 et 3 de la dépolarisation de ces cellules myocardiques.

 

Avantages et limites de l’étude

 

Notre étude vient ainsi combler le vide présent dans la littérature en Afrique Sub-saharienne au sujet de la fréquence et les facteurs associés à l’allongement de l’intervalle QT chez l’adulte insuffisant cardiaque chronique stable. Nous avons pu déterminer la proportion de nos patients insuffisants cardiaque chroniques stables à risque élevé de mort subite grâce à un paramètre de l’électrocardiogramme standard de repos à 12 dérivations.

En outre, le type de notre étude constitue une limite de cette dernière. En effet, une étude longitudinale nous aurait permis de constituer deux groupes : patients avec QTc long vs QTc normal et de les suivre sur une durée donnée. Cela permettrait ainsi d’évaluer le pronostic de l’allongement de l’intervalle QT chez ces derniers, et rendre plus robustes nos résultats. Cependant, la durée de recrutement de notre étude limitée à trois mois ne nous a pas permis de travailler selon le modèle longitudinal. Par ailleurs, la survenue de la COVID-19 qui a considérablement réduit la fréquentation dans les hôpitaux servant de sites d’étude. Ceci a entrainé un arrêt prématuré de notre collecte de données limitant notre taille d’échantillon.

 

 

CONCLUSION

 

L'allongement de l'intervalle QT était présent chez 1/5 de nos patients. Les facteurs indépendamment associés à l’allongement de l’intervalle QT étaient les suivants : l’hypokaliémie, l’hypocalcémie, une élévation de créatininémie, l’hypertrophie ventriculaire gauche et les troubles secondaires de la repolarisation. La connaissance de ces facteurs permettra donc de prévenir les troubles du rythme graves chez les patients insuffisants cardiaques chroniques.

 

 

 

Tableau 1

Analyses Bi-variées

 

Variables

QT allongé

n= 19 n1 (%)

QT Normal

n= 85  n2 (%)

OR

(IC1 à 95%)

Valeur-P

Caractéristiques cliniques

Données sociodémographiques

Age > 50 ans

18 (94,74)

71 (83,53)

3,5 (0,4-28,8)

0,294

Sexe féminin

11 (57,89)

47 (55,29)

0,9 (0,3-2,4)

0,836

Sexe masculin

8 (42,1)

38 (44,7)

0,9 (0,3-2,4)

0,836

Facteurs de risques cardiovasculaires

 

 

 

 

IMC > 25

 9 (47,36)

35 (41,17)

1,2 (0,4- 3,4)

0,812

Index alcoolique > 40 gr/jr

2 (10,52)

19 (22,35)

  0,4 (0,08- 1,9)

0,349

Diabète

5 (26,31)

11 (12,94)

2,4 (0,7- 7,9)

0,164

Hypertension artérielle

    16 (84,21)

66 (77,65)

 2,3 (0,4-10,9)

0,353

ECVM chez apparenté de 1er degré >1

4 (21,05)

 9 (10,58)

2,2 (0,6- 8,2)

0,249

ECVM3 chez le patient >1

4 (21,05)

6 (7,05)

  3,5 (0,8- 13,9)

0,081

Etiologie de l’IC2

 

 

 

 

Cardiopathie hypertensive

9 (47,36)

28 (32,94)

 4,8 (0,5-41,7)

0,249

Cardiopathie Valvulaire

      1 (5,26)

5 (5,88)

   0,8 (0,08-8,14)

1,000

Traitement

Diurétiques hypokalémiants

 

 

 

 

(Diurétiques de l’anse + Thiazidiques)

    17 (89,47)

61 (71,76)

3,34 (0,7- 15,59)

0,145

Diurétiques non hypokalémiants

Spironolactone

3 (15,79)

19 (22,35)

  0,6 (0,17-2,47)

0,75

Autres traitements

 

 

 

 

Digoxine

2 (10,52)

6 (7,05)

1,5 (0,2-8,3)

0,630

IEC

    10 (52,63)

47 (55,29)

0,8 (0,3-2,4)

0,830

Béta-bloquants

8 (42,10)

33 (38,82)

1,1 (0,4-3,1)

0,990

Troubles électrocardiographiques

 

 

 

 

TdR

    14 (73,68)

19 (22,35)

  9,7 (3,1-30,4)

< 0,001

TdC

6 (31,57)

10 (11,76)

   3,4 (1,07-11,1)

0,030

TdE

9 (47,36)

20 (23,52)

  2,9 (1,04-8,1)

0,069

HVG

    15 (78,94)

27 (31,76)

 18,2 (3,9- 84,7)

< 0,001

Anomalies biologiques

 

 

 

 

Hyponatrémie

    10 (52,63)

10 (11,76)

5,6 (1,9- 16,3)

0,002

Hypokaliémie

    12 (63,15)

3 (2,52)

18,2 (4,7- 70,2)

< 0,001

Hypocalcémie

    12 (63,15)

14 (16,47)

8,6 (2,9- 25,9)

< 0,001

Créatinine > 13 mg/l

    15 (78,94)

38 (44,70)

4,6 (1,4- 15,1)

0,010

DFG1 < 90 ml/min

9 (47,36)

44 (51,76)

0,9 (0,3-2,6)

0,945

 


OR : Odd ratio ; IC1 : intervalle de confiance ; IC2 : insuffisance cardiaque ;  DFG : débit de filtration glomérulaire ; TdR : troubles du rythme ; TdC : troubles de la conduction ; TdE : troubles de l’excitation ; HVG : hypertrophie ventriculaire gauche ; IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion ; IMC : indice de masse corporelle ; ECVM : évènement cardiovasculaire majeur

 

 

Tableau 2 :

 

Analyse multi-variée (Modèle 1)

 

 

Variables

OR

(IC à 95%)

OR ajusté

(IC à 95%)

Valeur-p ajustée

Diurétiques hypokalémiants

  3,34 (0,7- 15,5)

3,71 (0,7-17,85)

0,1017

Diurétiques non hypokalémiants

   0,60 (0,17-2,47)

0,58 (0,14-2,35)

0,4518

IEC

0,80 (0,3-2,4)

0,82 (0,29-2,33)

0,7216

Bétabloquant

1,10 (0,4-3,1)

1,49 (0,51-4,34)

0,4591

Digoxine

1,50 (0,2-8,3)

1,85 (0,31-10,8)

0,4930

 

 IEC : Inhibiteurs de l’enzyme de conversion ; OR : Odd ratio ; IC : Intervalle de confiance

 

 

Tableau 3

 

Analyse multi-variée (Modèle 2)

 

 

Variables

OR

(IC à 95%)

OR ajusté

(IC à 95%)

Valeur-p

ajustée

Diurétiques hypokalémiants

  2,9 (0,7- 10,7)

0,87 (0,14-5,24)

0,8808

Diurétiques non hypokalémiants

   0,6 (0,17-2,47)

0,54 (0,07-3,85)

0,5448

Hypokaliémie

18,2 (4,7- 70,2)

  22,8 (4,2-124,38)

0,0003

IEC

     0,8 (0,3-2,4)

1,23 (0,31-4,76)

0,7625

Bétabloquant

1,1 (0,4-3,1)

1,82 (0,44-7,38)

0,4019

Digoxine

1,5 (0,2-8,3)

   0,94 (0,08-11,09)

0,9617

         IEC : Inhibiteurs de l’enzyme de conversion ; OR : Odd ratio ; IC : Intervalle de confiance

 

 

Tableau 4

 

Variables

CRO

(IC à 95%)

AOR

(IC à 95%)

Valeur-p ajustée

TdR

9,7 (3,1-30,4)

 5,09 (1,1-23,3)

0,035

Hyponatrémie

5,6 (1,9- 16,3)

3,7 (0,7-19,6)

0,116

Hypokaliémie

        18,2 (4,7- 70,2)

6,7 (1,4-31,7)

0,015

Hypocalcémie

8,6 (2,9- 25,9)

  15,2 (2,8 - 82,04)

0,001

Diurétiques

2,9 (0,7- 10,7)

  1,4 (0,2 - 8,02)

0,702

HVG2

        18,2 (3,9- 84,7)

 16,2 (2,2 - 118,2)

0,005

Créatinine >13 mg/l

4,6 (1,4- 15,1)

12,8 (1,8 - 89,8)

0,010

TdR : Troubles de la repolarisation ; HVG : Hypertrophie ventriculaire gauche ; OR : Odd ratio ;

        IC : Intervalle de confiance ; AOR : Ajusted Odd-ratio ; CRO : Crud odd-ratio.

 

 

 

REFERENCES

 

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